« C’est important de savoir d’où l’on vient »
Le nouveau Théma du Liberté consacré à Saïgon se tient jusqu’au 29 mars, avec spectacle, films, ateliers, conférence, table ronde... Clément Baloup y restitue l’histoire d’exilés en BD
Clément Baloup, auteur de BD marseillais illustre le nouveau Théma que le Liberté consacre en février-mars à Saïgon, ancienne colonie française. Sa série Mémoires de Viet Kieu (1), dont des planches sont exposées dans le hall du théâtre, retrace des destins véridiques de Vietnamiens expatriés, depuis la colonisation, aux années 1990, en passant par les Boat people. Le premier tome lui a valu un prix du jury au festival d’Angoulême. Parmi les nombreux rendezvous durant ces deux mois : le spectacle Saïgon de Caroline Guiela Nguyen, mais aussi le film tiré du livre culte de Marguerite Duras, L’amant, ou encore la tableronde où témoignera notamment Céline Tran auteure et comédienne, ancienne pornostar sous le pseudonyme de Katsuni ....
Vous avez interrogé votre père et vos racines pour dessiner sur ce sujet ? Oui, même si ce n’est pas une recherche uniquement autour de la famille et des racines, c’était un point d’entrée. Je suis par exemple allé au Etats-Unis pour le tome , faire des recherches un peu comme un journaliste, avec mon sac à dos, mes carnets de croquis... Pour moi il s’est passé quelque chose que je n’arrive pas à trouver dans les livres. L’histoire a pris des tournants que seuls les témoins peuvent m’expliquer, c’est un peu cela, ma quête, au fur et à mesure des quatre albums. C’est pour cela qu’ils ont des tonalités très différentes et même des techniques différentes : acrylique, aquarelle, encre de Chine...
Parlez-nous de votre tome sur les immigrés de force, qui a suscité beaucoup de réactions dans le public, lors du vernissage... Pierre Daum a fait un livre sur une population d’Indochinois qui sont venus en France pendant la Seconde Guerre mondiale pour l’effort de guerre. C’est lui qui m’a fait découvrir ce sujet. Il a collaboré avec deux cinéastes sur le sujet, puis on a travaillé ensemble sur le quatrième et dernier album de cette série, Les Lin Tho immigrés de force .Ce qui est intéressant, c’est que c’étaient des gens qui étaient soi-disant volontaires pour venir, mais en fait c’est l’armée coloniale française qui les a réquisitionnés dans les villages pour la plupart, de manière relativement arbitraire. La particularité des Indochinois, par rapport à d’autres ressortissants des colonies, est que le temps que le bateau arrive en France, il y avait déjà eu la défaite. Ils sont tombés sous la coupe du gouvernement de Vichy, qui les a utilisés comme travailleurs, souvent de force, dans des usines, dans des campagnes reculées, plus ou moins maltraités, jamais ou presque jamais payés. On leur a dénié aussi tous les droits assez fondamentaux de liberté, de retour au pays. Une partie de ces Indochinois ont développé la riziculture en Camargue.
Pour vous, il peut y avoir un parallèle entre les boat people par exemple et les populations civiles qui fuient les pays en guerre aujourd’hui ? Si on enlève le mot Vietnam dans boat people vietnamiens et qu’on fait les mêmes phrases, qu’on parle de camps de réfugiés, passeurs, dangers en mer, désespoir face à la guerre, ingérence internationale... on pourrait penser qu’on est en train de parler de la situation actuelle en Méditerranée. Même si pour les Vietnamiens, on parle d’un accueil bienveillant à l’époque, de nations coordonnées dans l’aide. Aujourd’hui, c’est plus compliqué. A réfléchir...
Vu les réactions du public, on a l’impression qu’il y a une mémoire à libérer sur ces sujets... C’est toute la décolonisation... Il y a aussi un réflexe des intéressés, qui pour se préserver, ne vont pas raconter à leur entourage ce qui s’est passé. Il y a un manque chez ceux comme moi, de la deuxième génération, qui ne connaissent pas forcément l’histoire de leurs parents. Certains la fantasment, d’autres s’en détachent complètement. Moi, ça me gêne un peu, parce que je pense que c’est important de savoir d’où on vient. J’encourage les gens à poser la question à leurs aînés, sans les forcer, car cela peut être délicat. Cela fait partie de mon travail, de trouver la bonne porte d’accès. 1. La Boîte à bulles ed. Théma, jusqu’au 29 mars. Les rendez-vous sur www.theatre-liberte.fr Clément Baloup y animera deux ateliers les 16 et 23 mars.