Var-Matin (Grand Toulon)

Dessagnes, un compositeu­r à (re)découvrir

Quarante ans après sa mort, l’Unesco a reconnu l’oeuvre de ce musicien enterré à Toulon et l’opéra lui rend hommage. Une renaissanc­e, grâce au travail de recherche de sa fille

- VALERIE PALA

L’oeuvre du compositeu­r Gontran Dessagnes vient d’être labellisée par l’Unesco comme patrimoine à valoriser et protéger. Mais qui était ce musicien, dont la dépouille repose depuis 1978 dans le cimetière de Lagoubran, et dont l’opéra de Toulon s’apprête à faire rejouer les oeuvres, après 40 années de silence ? Sa fille cadette, Marybel Dessagnes, elle-même pianiste et compositri­ce a dû se former à la musicologi­e pour pouvoir exhumer son passé familial et réparer cet oubli de l’Histoire. Un travail de recherche

(1) digne d’un détective, car Gontran Dessagnes, dans ce XXe siècle bousculé par les conflits mondiaux a eu plusieurs vies. Né à Cholet en 1904, de parents teinturier­s, il choisit la musique, contre l’avis de sa famille, vers l’âge de 16 ans, après avoir fait ses premières gammes sur l’orgue de l’église, et s’être formé au piano.

Des cours à la fille du président français

Paris lui offre alors sa chance, en la personne de Marguerite Long, « pianiste fétiche de Ravel », rappelle sa fille Marybel. Par elle, il rencontre le pianiste argentin Santiago Riera, est repéré par l’imprésario de Joséphine Baker et Sarah Bernhardt. Il se produit le soir à La Coupole, haut lieu du Tout-Paris ou en tournée avec les ballets russes de Moscou, monte un orchestre de jazz et joue aussi bien du Ravel que du Debussy, « de leurs vivants ». Il donne des concerts salle Pleyel dès 1922, et sera même le répétiteur de la fille du président de l’époque, Henriette Doumergue.

Amoureux de l’Algérie

Son destin se précise contre toute attente en Algérie. Parti pour une tournée de trois mois, ce passionné de photograph­ie décide de s’y installer en 1929. Membre de la société des Beaux-arts des sciences et des lettres d’Alger, il prend aprèsguerr­e la direction du conservato­ire de la ville. Et continue de se partager entre récitals et enseigneme­nt. A la tête notamment de l’orchestre de l’opéra d’Alger qu’il dirige comme chef, « il donne pour la première fois du Chostakovi­tch en Afrique du Nord, mais aussi le Requiem de Verdi, y fait jouer du Berlioz...». Il aura aussi dirigé de grands solistes, comme Robert Casadesus. Au conservato­ire, il « juge scandaleux qu’aucun élève musulman n’y ait accès », leur ouvre ses classes, ainsi qu’un cours de musique classique algérienne, dite andalouse. « Mon père, en tant qu’universali­ste et humaniste pensait qu’il fallait que cette musique classique soit transmise aussi. » Les frères Fakhardji, « véritables icônes » du genre, y deviennent professeur­s. En lien avec le oud, instrument du pays, il décide de créer « la première classe de guitare dans un conservato­ire français », s’enorgueill­it Marybel Dessagnes. Dans son orchestre de 90 musiciens, fondé sur le modèle de celui du conservato­ire de Paris, de nombreux élèves iront faire carrière dans la capitale, justement. Issues de ce conservato­ire ouvert aussi à la danse et aux arts dramatique­s figurent les actrices Françoise Fabian et Marthe Villalonga. Ce pédagogue sut convaincre les parents de cette dernière de lui laisser embrasser une carrière théâtrale, plus que musicale. A Toulon même, le professeur André Millecam, qui enseignera à sa fille, était un de ses anciens élèves.

Compositeu­r pour Alexandre Lagoya

C’est à 44 ans que ce découvreur de talents, amoureux des musiques sans frontière, devient compositeu­r. Et pas pour n’importe qui : Alexandre Lagoya, en duo avec sa femme Ida Presti, notamment. Gontran Dessagnes, qui n’était pas guitariste, écrira parmi ses oeuvres, dans sa maison de vacances du Pradet, « le premier concerto pour deux guitares et orchestre » qui sera créé par le couple, salle Gaveau en 1956, et joué à travers le monde.

Non reconnu à son retour en France

Ce socialiste partisan de l’autonomie du peuple algérien quittera le pays en 1964. « Mal accueilli »au conservato­ire de Bayonne, dont il prend la direction, il sera « mis à la retraite forcée pour incompéten­ce profession­nelle » et perdra son procès contre l’administra­tion. « Un assassinat politique programmé », estime sa fille. Sa retraite à Toulon sera marquée par son ultime oeuvre posthume Pour Marybel, méthode d’apprentiss­age pour sa cadette. Dans une esthétique qui reste purement néo-classique française, cette dernière a trouvé, il y a peu, des thèmes arabo-andalous que ce dernier y avait introduits, sans que cela ne soit audible à l’écoute du morceau. Un ultime clin d’oeil de cet amoureux de l’Algérie qui pourrait parsemer d’autres de ses oeuvres. D’autres facettes de Gontran Dessagnes gagnent encore à être connues.

Il crée la première classe de guitare dans un conservato­ire”

1. Dont elle a fait un mémoire.

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(Photos Luc Boutria) Marybel Dessagnes, elle-même compositri­ce, a suivi une formation de musicologu­e et chercheur pour mener à bien cette quête.
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Ci-contre, avec l’original d’une oeuvre créée pour Alexandre Lagoya et Ida Presti.

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