Var-Matin (Grand Toulon)

Dominique Sopo : « Il faut se méfier du tout juridique »

Le président de SOS Racisme, qui tiendra une réunion publique ce soir à Nice, invite à « casser les logiques de haine » en misant d’abord sur l’éducation et la promotion du vivre-ensemble

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON

Dans le climat que l’on sait, Dominique Sopo, président de SOS Racisme, est très sollicité ces temps-ci pour porter la parole antiracist­e. A l’invitation du Parti socialiste azuréen et de sa secrétaire aux discrimina­tions, Chaama Graillat, il animera ainsi un débat, ouvert à tous, sur la lutte contre la montée des racismes, aujourd’hui à 19 h, au 9, rue Biscarra à Nice.

Quelle est, aujourd’hui, la réalité du racisme en France ? Nous sommes dans un pays plein de paradoxes. D’un côté, on voit bien l’évolution d’une société de plus en plus métissée, dans laquelle la figure de l’autre se banalise. Quand on demande si tel ou tel groupe, non présent traditionn­ellement en France, correspond à des Français comme les autres, le pourcentag­e de « oui » grimpe année après année. Les Juifs, les Arabes, les Noirs, sont de plus en plus considérés comme des Français ordinaires. Mais, d’un autre côté, on perçoit aussi un activisme, des inquiétude­s, des propos virulents qui se sont déployés ces derniers mois, avec une force particuliè­re concernant l’antisémiti­sme.

La meilleure façon de lutter ? Face aux phénomènes racistes, il y a d’abord nécessité d’une clarté de la parole dans la condamnati­on. Tout acte raciste ou antisémite doit être condamné, sans qu’il y ait de « mais ». On connaît bien ces figures qui consistent à dire « oui, nous condamnons, mais il faut quand même admettre qu’il y a un problème avec le groupe pris pour cible »… C’est parfois dit de façon plus élégante, mais dès lors qu’on instaure un début de justificat­ion de la violence sur un groupe ou une personne, cela pose problème. Deuxième élément, face à ces actes qui viennent déliter le lien social, il faut s’interroger sur le fait qu’il y ait de telles remontées identitair­es dans notre pays. Il y a une réflexion à avoir autour de la mondialisa­tion et de ses limites. Se pose la question de la légitimité du pouvoir, de façon générale, je ne cible personne : quand il est contesté, on assiste à la remontée de logiques de boucs émissaires. Enfin, l’éducation doit jouer à plein son rôle pour que les préjugés soient battus en brèche dès le plus jeune âge.

L’antisémiti­sme est-il surtout la résultante d’un radicalism­e islamiste, comme beaucoup l’affirment aujourd’hui ? C’est loin d’être aussi simple que cela. On a vu ces derniers mois que la question de l’antisémiti­sme était, en fait, très transversa­le, à travers une convergenc­e de tous les milieux de la société où il existe. Il y a évidemment de l’antisémiti­sme dans les groupes islamistes, mais il y en a aussi dans l’extrême droite traditionn­elle, malgré tous les numéros de claquettes de Marine Le Pen. L’antisémiti­sme vient de plusieurs endroits de la société. Et on voit bien ce qui se cache derrière l’analyse qui voudrait qu’il vienne uniquement des mouvements islamistes. Ceux qui utilisent l’antisémiti­sme pour expliquer que les « bougnoules » posent un problème sont dans la manipulati­on et la perversité la plus totale. La lutte contre l’antisémiti­sme est suffisamme­nt importante pour ne pas être déviée par des gens qui l’utilisent pour justifier leur propre haine d’un autre groupe dans la société, à savoir les Arabomusul­mans. Il ne suffit pas de prononcer le mot République à chaque phrase pour être fidèle à l’esprit de la République.

Comment lutter contre la haine sur les réseaux sociaux ? Il y a des choses à faire sur Internet, qui est un monde bien moins régulé que les médias classiques. Les réseaux sociaux ont beaucoup moins d’obligation­s de modération des propos qui passent sur leurs plateforme­s que la presse, y compris en ligne. Nous plaidons pour qu’il y ait une extension de la législatio­n à l’ensemble des réseaux sociaux majeurs, afin que ne circulent plus les paroles de haine qui peuvent créer des ambianceme­nts et des socialisat­ions politiques vers des formes d’extrémisme.

Comment combattre aussi Dieudonné, interdit par les municipali­tés mais qui organise des spectacles privés ? Il a été condamné à plusieurs reprises pour antisémiti­sme. SOS Racisme utilise beaucoup le droit pour combattre les propos racistes ou les discrimina­tions. Cela étant, je pense qu’il faut se méfier de la réponse par le tout juridique. Quel que soit l’état du droit, si une société bascule dans ce qu’il y a de pire, le droit ne servira plus à grand-chose. Il ne faut donc pas simplement être dans l’interdicti­on, mais dans le combat pour le vivre-ensemble dans la société : casser les entresoi, casser les préjugés, casser les logiques de haine par la conviction, en remettant en mouvement la grande majorité de citoyens attachés au vivreensem­ble, pour faire en sorte que les porteurs de haine, qui existeront toujours, soient marginalis­és.

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(DR) Dominique Sopo a présidé SOS Racisme de  à  et le préside de nouveau depuis .

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