Dialogue entre une éleveuse et un protecteur
Véronique Luddeni, vétérinaire dans le Mercantour, et Michel Dessus, président de la chambre d’Agriculture 06, ne sont pas tombés d’accord mais ont entamé le débat cette semaine à Paris
Mercredi au Salon de l’Agriculture à Paris : Michel Dessus, président de la Chambre d’agriculture des AlpesMaritimes attend Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur. Il compte bien lui parler du problème du loup, qui rend fous les éleveurs. L’heure tourne. Le premier flic de France est en transhumance dans le pavillon 1, avec moutons, chèvres et vaches, dont #Imminence, la vedette de l’année. C’est une aubaine pour Véronique Luddeni. Un coup de fil à Michel Dessus et la voilà qui occupe la chaise vide du ministre. Vétérinaire à Saint-Martin-Vésubie, elle est venue plaider pour que le parc du Mercantour ait un avenir avec le loup. Làhaut, dans les montagnes des Alpes-Maritimes, elle soigne les moutons mais aussi leur prédateur. Elle est spécialiste du loup en Europe et a participé au Plan national loup dans le cadre de la loi sur la biodiversité. Michel Dessus signerait immédiatement pour l’éradication du Canis lupus. Elle, veut «tuer le mythe du Petit chaperon rouge. » Voici ce qu’ils se sont dit !
Véronique Luddeni.
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: On peut pas faire disparaître tout ce qui nous dérange. C’est comme les abeilles avec les insecticides. À force, il n’y en a plus. Voilà où on en est !
Michel Dessus.
: La faune sauvage ne disparaît pas. Quand le loup est arrivé en France, il était peut-être menacé, mais maintenant on a dépassé les 500 loups en France. On peut dire qu’il est sauvé. Il est incompatible avec les éleveurs. Ils aiment leurs bêtes. Il faut voir les moutons déchiquetés.
V.L.
: Il faut arrêter avec cette image d’Épinal. C’est quand même aussi un élevage pour la viande. Selon une étude du Muséum national d’histoire naturelle, il faut 1200 loups sur l’arc alpin entre la France, l’Italie et la Suisse pour préserver leur diversité génétique.
M.D.
: Les éleveurs sont en détresse. Ils me disent « Aidez-nous. » Personne ne veut du loup. Il faut réguler. Même Brune Poirson, la secrétaire d’État à la Transition écologique et solidaire le dit. Elle a fait une visite surprise ce matin. Mais moi, je serai pour l’éradiquer complètement. On a vécu sans le loup pendant des années. Ça ne dérangeait personne.
V.L
.: Je suis d’accord pour des tirs ciblés pour réguler, même sur des meutes entières dans les zones où il y a de grosses attaques. Mais en contrepartie, il faut lui laisser des territoires sauvages pour se développer.
M.D.
: Moi, ce que je veux, c’est que les éleveurs de mon département puissent vivre de leur métier. Aujourd’hui, ils n’ont plus de vie. Ils ne dorment plus. Leur situation se dégrade.
V.L.
: Dans vingt ans, les éleveurs seront toujours là. Mais ils doivent peut-être diminuer leurs troupeaux et réinventer une agroécologie avec d’autres cultures et du couchage. Faire disparaître le loup aurait un effet boomerang sur le tourisme.
M.D.
: Faut pas inverser les rôles. Les éleveurs se sont déjà adaptés. Le loup fragilise toute la filière agricole, parce que l’indemnisation est prise sur l’enveloppe globale FEADER des aides agricoles. L’argent ne va pas aux autres filières, y compris le bio. Il faudrait un budget spécial loup.
V.L
.: Je n’aime pas les discours identitaires. Je suis à l’intersection entre les deux mondes. Les deux peuvent exister. Je soigne les loups et les moutons, mais aussi chiens, chats, furets. Je discute avec les éleveurs et leurs familles. Ils finissent par avoir une acceptation fataliste du loup. Ils comprennent son apport touristique. Tout cela est évidemment traumatique. On peut avoir l’argent et souffrir.
M.D.
: Alors tu considères les bergers comme des Indiens ! Aujourd’hui, les loups arrivent en ville. Regarde à Bormes-les-Mimosas, le loup était agressif. Il a été abattu. Et au Rouret, un autre a attaqué un chien de berger.
V.L.
: Il n’y a pas de réel danger pour l’Homme. Le loup a plus peur de nous. S’il n’est pas enragé, il n’attaque pas. Mais il faut faire une étude sur zone pour voir quelle est la meute. Il est intelligent, opportuniste, il se rapproche des poubelles. Mais il ne faut pas le laisser s’installer dans la sécurité. On peut anesthésier la meute et la déplacer, ou la stériliser.
M.D.
: Il n’y a plus de nouvelle installation de bergers depuis dix ans. Là où il n’y a pas d’éleveurs, c’est la brousse et les feux de forêt. Ceux qui restent, veulent passer à l’élevage des bovins et même eux sont attaqués.
V.L.
: Attention, seulement les jeunes. Il ne faut pas s’appuyer sur les peurs. Il faut avoir une approche scientifique et tuer le mythe du Petit chaperon rouge.
M.D.
: Moi, je ne suis pas quelqu’un de fermé mais avec le loup, oui !
V.L.
: Aux pro-loups je dis que si on leur crevait les pneus tous les jours, à un moment, ils auraient envie de prendre le fusil. Et aux bergers qu’il faut un partage raisonné du territoire. Je n’ai pas à choisir entre le loup et les moutons.