Var-Matin (Grand Toulon)

La razzia des grands groupes sur le foncier agricole

Français, étrangers, ils font exploser les prix sur le Var et les Alpes-Maritimes, bloquant les agriculteu­rs du cru. La Société d’aménagemen­t foncier et d’établissem­ent rural demande un droit d’opposition

- RÉGINE MEUNIER rmeunier@nicematin.fr

Trois mille hectares de terres agricoles disparaiss­ent chaque année en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Le béton a déjà recouvert les meilleures d'entre elles, dans les plaines, en périphérie des villes et villages, là où s'étale l'urbanisati­on qui fait fleurir les lotissemen­ts, là où poussent les zones d'entreprise­s, dopées à l'engrais de la société de consommati­on. La Safer, Société d'aménagemen­t foncier et d'établissem­ent rural de ProvenceAl­pes-Côte d'Azur, a saisi la vitrine du Salon de l’Agricultur­e à Paris, pour évoquer les problèmes de consommati­on et préservati­on de ces terres agricoles ainsi que leur prix. Elle espère faire entendre sa voix, alors que se profile à l’horizon 2 020 la loi foncière sur laquelle planchent déjà les parlementa­ires. Cette forte artificial­isation des sols va-t-elle amener une guerre pour la terre ?

Jusqu’à   € l’hectare

Elle a déjà commencé et se joue sur un terrain financier. Ce qui est rare est cher. Var et Alpes-Maritimes en sont la preuve. Le prix du foncier y atteint des sommets complèteme­nt prohibitif­s pour les agriculteu­rs locaux, qui souhaitent s'agrandir ou veulent s'installer. « Le prix du foncier est en moyenne de 15 000 euros l’hectare », estime Patrice Brun, p-dg de la Safer régionale. Mais ce n’est qu’une moyenne. De gros investisse­urs achètent à des prix audessus du marché, notamment les domaines viticoles. À La Motte ou au Luc des ventes ont eu lieu à 45 000 l’hectare. Et cela peut être plus » précise Sylvain Apostolo, éleveur de brebis laitières à Sillans-La-Cascade et porte-parole de la Confédérat­ion paysanne. « 110 000 euros l’hectare, c’est possible » confirme le pdg de la Safer. Ces prix qui jusque-là touchaient les appellatio­ns Bandol dans le Var ou Bellet dans les AlpesMarit­imes, gagnent les Côtede-Provence.

Une technique inventée par les Chinois

Dans le secteur de Lorgues par exemple. Ces gros investisse­urs sont de puissants groupes français et étrangers, qui font sur-exploser les prix. Leur arme : une technique inventée par les Chinois, dans le Bordelais, qui permet d’échapper au droit de préemption des Safer. « Ces riches investisse­urs achètent des parts sociales dans une société d'exploitati­on agricole à hauteur de 95 % le plus souvent. Ce rachat partiel ne les rend pas complèteme­nt propriétai­res. Or, une Safer ne peut préempter sur les cessions partielles et encore moins sur des parts sociales. Elle ne peut le faire que sur des terres. Une fois en place, l'investisse­ur n'a plus qu'à racheter les actifs immobilier­s. Il est devenu propriétai­re à 100 %, sans que nous ayons pu intervenir. » Un des plus récents rachats avec cette méthode a été fait dans le Bellet par un groupe étranger.

Bloquer les transactio­ns

La technique a fait des émules, chez les Russes, et désormais parmi les grands groupes français cotés en bourse mais aussi par les grands patrons qui à l’heure de la retraite vendent leur société et investisse­nt dans des domaines viticoles. Dans les deux cas, le but est la défiscalis­ation en faisant, par exemple, des travaux aussi perpétuels qu’herculéens. Patrice Brun souhaite que la loi foncière qui devrait sortir d'ici 2020, redonne la main aux agriculteu­rs locaux, à des exploitati­ons familiales et aux jeunes qui ne peuvent pas acquérir les terres pas plus que les louer. Au niveau national, les Safer espèrent convaincre les parlementa­ires de leur donner dans la future loi foncière, un droit d'opposition, puisqu'elles ne peuvent préempter. Elles réclament également le pouvoir de délivrer des permis d'exploiter, à utiliser même en cas de cession partielle des parts. Y a-t-il une place pour un modèle agricole autre que celui d'un capitalism­e paysan qui s'installe dans les Alpes-Maritimes mais surtout le Var à travers les grands domaines viticoles ? Là est la question. D’autant estime Sylvain Apostolo « qu’on ne peut pas manger du vin. Il faut une diversité de culture pour nourrir la population. »

 ?? (Doc Safer) ?? Saint-Maximin, un exemple pris par la Safer : à gauche en , à droite en . L’urbanisati­on a gagné les terres les plus fertiles.
(Doc Safer) Saint-Maximin, un exemple pris par la Safer : à gauche en , à droite en . L’urbanisati­on a gagné les terres les plus fertiles.
 ?? (Photo Ph.A.) ?? Sylvain Apostolo de la Confédérat­ion paysanne s’insurge contre le dopage des prix, par de riches investisse­urs.
(Photo Ph.A.) Sylvain Apostolo de la Confédérat­ion paysanne s’insurge contre le dopage des prix, par de riches investisse­urs.
 ?? (Photo R.M.) ?? Patrice Brun, p-dg de la SAFER Provence-AlpesCôte d’Azur, réclame un droit opposition pour pouvoir bloquer le rachat des terres agricoles.
(Photo R.M.) Patrice Brun, p-dg de la SAFER Provence-AlpesCôte d’Azur, réclame un droit opposition pour pouvoir bloquer le rachat des terres agricoles.

Newspapers in French

Newspapers from France