Var-Matin (Grand Toulon)

Charlebois : « Je suis le plus azuréen des Canadiens »

Mardi 19 mars à Antibes et le lendemain à Sanary, Robert Charlebois célébrera en chansons cinquante ans de carrière. Autour d’un 25e album aux allures de bilan, sobrement intitulé Et voilà

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@matin.fr

Depuis la « cabane » qui adoucit ses hivers en Guadeloupe, où son ami et voisin Coluche, « immense bricoleur » ,lui prêtait autrefois camionnett­e, tronçonneu­se et bétonnière, Robert Charlebois prépare ardemment son retour. Sans s’être vraiment absenté ces derniers temps, il se faisait rare sur les scènes méditerran­éennes et son précédent album accusait ses presque dix ans. Au programme de cette tournée : cinquante ans de chansons. Les standards, mais aussi quelques titres du dernier-né, Et voilà, enregistré à Brooklyn. Avec la même énergie, la même joie.

e album : belle prolixité ! La créativité n’est pas une science exacte, elle me fait plutôt penser à un poumon qui se contracte. Parfois, c’est tout bêtement en montant un escalier ou en voulant remplacer une tôle sur le toit que nous viennent nos meilleures idées. On peut aussi avoir des trous immenses, comme moi qui ai pris neuf ans pour « ramasser » cet album. Aujourd’hui, des gens m’écrivent pour me dire - c’en est presque gênant - que c’est le meilleur depuis Lindberg.

Pas très flatteur, vu tout ce qu’il s’est passé entre-temps ? C’est ce que je réponds ! (rires). Pour moi, le succès a toujours été plus compliqué à gérer que l’accès. Quand, au début, les salles sont vides, on est préoccupé par ce qui n’est peut-être pas bon dans ce qu’on fait. Mais quand tout le monde aime et que les théâtres sont pleins, c’est une sacrée responsabi­lité aussi, hein !

Et voilà : un bilan sans tristesse ? J’ai beaucoup taquiné la mort depuis tout jeune. En écrivant Le Piano Noir à trente ans, je me croyais éternel. Mais quand Barbara a féminisé ma chanson, ça tirait des larmes aux gens. Dans Et voilà, je raconte que la Terre continue à tourner. Lorsque j’ai présenté un genre de « démo » à Brooklyn, les musiciens, qui ne comprenaie­nt pas un mot de français à l’exception de Gustavo Coriandoli, étaient très émus. J’imaginais des flûtes, des violons, ils m’ont dit que j’avais déjà quelque chose de magique avec juste un petit piano électrique où l’on ne trouverait pas la moitié des notes d’un Steinway. Cette chanson, c’est comme un instantané, et moi je suis très mauvais pour juger de mes photos. Des fois, j’ai l’air insignifia­nt, des fois j’ai l’air con. Et regarde sur celle-ci comme je fais vieux. Ou celle-là : on ne voit rien que mon gros nez ! Mais c’est ça que les gens veulent. On ne sait pas pourquoi on aime un artiste. Pour ses défauts aussi, il faut croire. Bref, même en barbouilla­nt la chanson, peut-être qu’on n’aurait pas eu plus beau pour autant. Pourquoi Brooklyn ? Je voulais faire cet album avec les musiciens qui m’accompagne­nt en tournée depuis dix ans. Mais mon producteur et ami, Claude Larrivée, m’a dit : « Tu vois, Robert, ce sont des virtuoses, mais on sait d’avance comment ça va sonner. » Il m’a suggéré de venir faire un tour à New York, chez ces gars qui ont fait notamment l’album de Bigflo et Oli. Des ingénieurs hors pair qui maîtrisent les ordinateur­s alors que moi, je ne casse pas ma force là-dessus. Dès le premier jour, j’ai trouvé ça bien. Ils me disaient sans arrêt : « Robert, t’en mets trop. » Un pianiste passait systématiq­uement derrière moi pour enlever les enjolivure­s et les fions (fioritures, NDR) ,enne gardant que l’essentiel des accords. Et quand j’écoutais ça le lendemain matin, ça sonnait gros comme une église catholique ! Ils m’ont donné beaucoup. Sans compter cette énergie que l’on trouve à New York et qui est unique au monde. C’est comme se mettre les deux mains dans le toaster à la sortie de l’avion !

Et pourquoi une chanson dédiée à Johnny sur l’album ? Je ne l’ai pas connu mieux que Maurane ou Higelin, mais j’ai des bons souvenirs avec Johnny. Une navigation à Marie-Galante, sur le bateau d’Alain Colas. Une rencontre à Montréal dans les années soixante-dix. Ou un show qu’il était venu voir à Paris, où je patinais sur une fausse glace en cire à chandelles. Il n’y croyait pas et cherchait les roulettes sous mes patins ! Si bien qu’il a fini pas se couper en y passant le doigt… En tout cas, Johnny est sûrement le chanteur que j’ai vu le plus sur scène dans ma vie, avec Aznavour. J’aimais son sens de la performanc­e, comme à Nikaïa, avec ce show où il descendait d’une tête de mort, avec des lumières incroyable­s. Je suis en train d’en préparer un très gros, moi aussi, avec des écrans Led de  m. Montréal étant la ville des jeux vidéo et de tout ce qui est « habillage scénique », j’aurais tort de m’en priver. Mais celui que j’amène en tournée, c’est plutôt une atmosphère de théâtre. On n’est pas à Las Vegas où, si Céline Dion veut changer l’ordre de ses chansons, ça prend quasiment deux voyages de ciment ! Moi, si j’ai envie de faire Johnny, Et voilà, la chanson d’Elvis ou Des Livres et moi, que j’aime beaucoup, c’est très facile. Sachant que les gens viennent surtout pour Lindberg, Les ailes d’un ange, Montréal, J’t’aime comme un fou ou J’veux de l’amour.

L’état d’esprit à l’aube de vos  ans, comme on dit joliment ? Tout le monde est à la merci d’une baisse de vitalité, d’une maladie. La plus grande angoisse, pour un chanteur, ce sont les cordes vocales. La vie ne tient qu’à un fil. La mienne à deux, ce qui déjà est une chance.

À Antibes, belle-maman sera là ? Bientôt  ans ! Disons qu’à son âge, promettre, c’est pire que vendre (rires). Lucienne est invitée. Viendra-t-elle ? Même si elle a toute sa tête et une santé exceptionn­elle, sortir, à son grand âge, c’est une aventure. En plus, j’ai de la concurrenc­e. Elle adore Rex et Zorro. S’il y a un épisode ce soirlà, je suis fait comme un rat !

Votre épouse antiboise vous a fait aimer la région ? Laurence a passé toute son enfance ici. Nous venons très souvent. Incognito, généraleme­nt. Mais je suis probableme­nt le plus azuréens des Canadiens. De grands souvenirs de jazz ? Oh, oui ! J’ai vu souvent Stan Getz quand il jouait à la Caravelle. Et surtout Chuck Berry à la Rose d’or. Mon idole absolue. J’étais allé le voir après le show, il m’a signé un tee-shirt que j’ai mis sous verre aussitôt. Le seul autographe que j’aie jamais demandé à personne.

Il se dit que vous avez partagé l’affiche avec Charles Trenet ? C’était au début des années soixante-dix. J’étais pas mal à mon top, et lui dans un creux. Si bien qu’il faisait mes premières parties. Ce n’était pas si con : il pouvait aller se faire un bon restaurant alors que moi, après le show, tout était fermé. Je me retrouvais avec une tranche de jambon et un cornichon. Eh oui : vous ne connaissez pas tout de ma vie. Je ne suis pas là pour me vanter, mais même James Brown a fait ma première partie !

James Brown, votre première partie ? C’est énorme ! Une insulte pour lui, quand le producteur a expliqué qu’il ne devait pas dépasser une heure pour laisser Charlebois après lui. Déjà, quand il est arrivé à Dorval, James Brown a refusé de monter dans la limousine parce qu’elle était noire, alors qu’il en avait commandé une blanche. Il est donc arrivé en retard d’une demi-heure. Pas de balance, rien. Et pendant son show, un gars a débranché le câble du son en plein I Feel Good. James Brown est venu me trouver, je lui ai dit que je n’y étais pour rien. Finalement, il voulait tuer le producteur ! C’était un fou, mais quel génie absolu… Encore aujourd’hui, imbattable.

Mes souvenirs avec Johnny ” James Brown voulait tuer le producteur ! ”

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