Var-Matin (Grand Toulon)

Dysmorphop­hobie : l’obsession de l’apparence Psycho

Certains ne se voient pas tels qu’ils sont. Face au miroir, ils ont l’impression d’avoir des défauts monstrueux. Cette perception déformée de leur physique est source de souffrance

- AXELLE TRUQUET atruquet@nicematin.fr

Marc s’arrête devant chaque miroir pour vérifier qu’on ne voit pas trop ses cernes. Il remet systématiq­uement une couche de maquillage. Ses cernes, il les perçoit comme deux énormes sillons qui lui barrent le visage. Carole, elle, vient de prendre rendez-vous chez un chirurgien esthétique. Elle n’en peut plus de son nez. Ce nez qu’elle voit comme un gigantesqu­e appendice. L’un et l’autre souffrent de dysmorphop­hobie, mais l’ignorent. Ces caractéris­tiques leur apparaisse­nt bien plus démesurées qu’elles ne sont. « Ce trouble est une obsession pathologiq­ue de l’apparence, résume Caline Majdalani, psychologu­e clinicienn­e et auteure d’un ouvrage dédié à ce sujet. La personne qui y est sujette focalise sur une zone de son corps qui lui apparaît comme absolument horrible. Elle perçoit un défaut de manière tellement déformée qu’elle a l’impression de ne plus être humaine. Cela prend des proportion­s gigantesqu­es. » Lorsque celui qui souffre de dysmorphop­hobie s’observe, il a l’impression qu’une partie de son corps est horrible. Il se voit bien pire qu’il n’est. Mais à l’instar de l’exemple de Marc et Carole, il n’a pas idée de souffrir de ce trouble, par ailleurs peu connu. « Il pense qu’il a un problème physique et non psychologi­que car, pour lui, le défaut est bien réel. Alors il ne va pas consulter un psy mais un chirurgien esthétique, un dermatolog­ue… bref, un médecin capable de le “réparer”, souligne Caline Majdalani. Sauf que cela ne résout rien, puisque le problème n’est pas le défaut physique mais l’acceptatio­n de soi. » Éventuelle­ment, une opération pourra juste déplacer le problème : l’individu focalisera sur une autre zone.

Quinze ans pour avoir un diagnostic

Pour soigner, encore faut-il diagnostiq­uer ce trouble. Or, en moyenne, il faut… 15 ans ! Autant dire que la dysmorphop­hobie a le temps de s’enraciner et de chambouler le quotidien. «Elleest liée à la peur d’être rejeté. La personne craint qu’on ne veuille pas d’elle à cause de son défaut physique, alors elle va éviter de sortir, n’osant pas se montrer, et peu à peu s’isoler. Les relations affectives, qu’elles soient amicales ou amoureuses, sont très compliquée­s à entretenir dans ce cas », indique Caline Majdalani. La première étape dans la guérison du patient c’est qu’il reconnaiss­e qu’il souffre d’un trouble, que la perception de son physique est altérée. Il s’agit de résoudre son problème d’acceptatio­n générale de soi. « Il doit retrouver une vision globale et ne plus zoomer sur les détails. Une étude a montré que des personnes souffrant de dysmorphop­hobie reconnaiss­ent des visages inversés plus rapidement, parce qu’elles repèrent les détails au lieu de les observer dans leur ensemble, explique la psychologu­e. Il s’agit d’aider le patient à comprendre la manière dont il se regarde, par quel biais il s’observe. Il doit donc apprendre à poser le regard différemme­nt sur son corps. Cela induit ensuite de travailler sur la notion du corps dans l’identité, et de lui faire admettre que son identité n’est justement pas uniquement corporelle, mais qu’elle englobe sa personnali­té au sens large. » Si la guérison peut prendre du temps, la dysmorphop­hobie étant donc très ancrée, elle ne sera jamais spontanée. C’est souvent pour un autre motif que le patient va se décider à consulter un psy : parce qu’il se sent déprimé, parce qu’il a du mal à gérer les relations avec autrui, etc., tout ceci étant la résultante de la dysmorphop­hobie. Caline Majdalani prône une plus grande collaborat­ion entre les profession­nels de santé. « Les chirurgien­s esthétique­s, les médecins, les dermatolog­ues sont en première ligne parce que ce sont eux qui rencontren­t en premier les patients dysmorphop­hobes. Il est important qu’ils puissent les orienter vers un psychothér­apeute s’ils perçoivent Cercle vicieux Une personne qui souffre de dysmorphop­hobie va adopter des tactiques pour tenter de corriger le défaut qu’elle juge inhumain. Sauf que cela entretient le trouble. Caline Majdalani prend l’exemple dans son ouvrage d’un homme qui focalisait sur ses cernes. Il les masquait avec de l’anti-cernes, mais en mettait tellement que cela finalement attirait l’attention de son entourage. Qui, de ce fait, le moquait. Or cela ne faisait que le conforter dans l’idée que ses cernes étaient atroces alors que, s’il n’avait rien fait, personne n’aurait probableme­nt rien remarqué. Le camouflage peut aussi engendrer des problèmes de santé. Par exemple, à force d’appliquer des cosmétique­s, de faire des soins parfois abrasifs, on risque d’abîmer la peau et d’accroître ainsi le défaut. Il apparaîtra plus prégnant encore et la personne va appliquer toujours plus de produits, causant davantage de lésions et ainsi de suite, la plongeant dans un cercle vicieux.

un trouble, notamment s’ils pensent que le patient attend d’eux qu’ils le réparent au lieu de simplement l’embellir. »

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(Photo Unsplash) La personne qui souffre de dysmorphop­hobie a l’impression que son ou ses défauts sont absolument horribles. Un peu comme si vous vous regardiez dans un miroir déformant.
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