Var-Matin (Grand Toulon)

« Fitzy », de la pelouse de Mayol au barreau de Toulon

L’Ecossais, ancien talonneur du RCT, sera l’invité d’une table ronde, demain matin, dans le cadre du salon Livres, justice et droit. Il y évoquera sa vie de rugbyman et celle d’avocat

- VIRGINIE RABISSE vrabisse@varmatin.com

Un exemple à suivre pour tous les jeunes rugbymen. » Ce 27 novembre 2011, alors que Philip Fitzgerald, ancien talonneur du RCT, prêt à devenir élève de l’école d’avocat de Marseille, finit de soutenir sa thèse, c’est l’une des louanges que lui tresse Max Gounelle, son professeur. Ce qu’en pense « Fitzy » aujourd’hui ? Avant de répondre, il se tourne vers la fenêtre, pose son regard franc et généreux sur le Faron, dont la vue s’offre à lui depuis le troisième étage de l’immeuble L’Empire. C’est là qu’aujourd’hui, il exerce bel et bien en tant qu’avocat. « J’ai eu la chance d’avoir un professeur hors norme », dit-il. Humble. Simple. Pas du genre à accepter les lauriers facilement. Puis : « Aujourd’hui, on est le 5 mars (le jour où on l’a rencontré, Ndlr) et c’est ce qui compte : le présent. » N’empêche que dans son bureau, le présent côtoie le passé. À l’instar des codes pénal, civil, de commerce, administra­tif installés une étagère au-dessus de sa caricature en robe noire et crampons, offerte par le dessinateu­r de justice toulonnais Rémy Kerfridin. Sa vie d’aujourd’hui et celle d’avant, c’est ce qu’il doit évoquer ce samedi matin, lors d’une table ronde sur le droit et la reconversi­on(1), proposée par le salon Livres, justice et droit, à l’université de Toulon, dont la quatrième édition a justement pour thème le sport. Passer d’une vie à l’autre a demandé du temps à Philip Fitzgerald. Sorti de l’école d’avocat major de sa promotion, il a commencé à exercer début 2014. Ses études de droit et de français, il les avait tout de même débutées en 1995, dès sa sortie du lycée, dans son Écosse natale. Presque deux décennies plus tôt ! Pourtant, dans son français parfait où pointe encore son accent anglophone, « Fitzy » l’assure : « Rien de tout ça n’était prévu. » Tout juste savaitil, à l’époque joueur depuis l’enfance, qu’il lui faudrait penser à la suite. « 1995, c’est l’année où le rugby est devenu profession­nel, rappelle-t-il. Avant ça, c’était deux entraîneme­nts par semaine ! » C’est à ce rythme qu’il pratique alors, en même temps qu’il poursuit son parcours universita­ire. Deux ans plus tard, son double cursus droit et français l’oblige à faire une année Erasmus francophon­e. Entre Poitiers, Paris, Montréal et Aix-en-Provence, il choisit cette dernière option. « J’ai vu que c’était près de Toulon et ça, je connaissai­s grâce au rugby. » Il intègre ainsi la fac de droit de Toulon et l’équipe Reichel (moins de 22 ans) du RCT, championne de France dans sa catégorie. « Je suis tombé là-dedans avec des éducateurs très techniques et un groupe très performant. » Une première expérience positive. Mais qui ne dure pas : Philip Fitzgerald doit retourner en Écosse pour valider sa maîtrise. Même si l’année qu’il y a passée, il ne pense alors pas revenir en bord de rade. Jusqu’à ce que Patrice Blachère et Serge Lucas, duo d’entraîneur­s de l’équipe première du RCT, l’appellent. On est à l’été 1999. De là, le guerrier écossais venu de Stirling, presque à mi-chemin au nord de Glasgow et d’Edimbourg, enchaînera onze saisons d’affilée, menant de front ses études de droit. L’avocat répète pourtant : « Rien de tout ça n’était prévu… » Onze saisons dont « Fitzy » n’a rien oublié. Comme cette finale d’accession en première division, en 2001, en même temps qu’il poursuit son Diplôme d’études supérieure­s spécialisé­es (DESS). « Un match perdu de justesse à Nîmes, contre Montauban. » Une pause et : « 15 à 9 je crois. Toulon n’est pas club de deuxième division, mais c’était difficile… » Moins difficile, l’année suivante, de faire la connaissan­ce d’Anna, sur les bancs de la fac. Sa compagne encore aujourd’hui, avec qui il a deux filles : Louise et Alice, âgées de 10 et 7 ans. 2002, c’est aussi l’année où l’étudiant-rugbyman se lance dans la recherche et prépare un Diplôme d’étude approfondi (DEA), qu’il valide en 2004. Avant d’attaquer sa thèse, pour laquelle il travailler­a pendant sept ans. Avant aussi la première remontée en 2005. Forcément, le talonneur s’en rappelle avec plaisir. « L’équipe s’entendait bien et avec le trio d’entraîneur­s Eric Champ, Aubin Hueber et Thierry Louvet, c’est ceux qui avaient vécu des moments difficiles qui ont fait monter le club. » Mais le RCT redescend pour la saison 2006-2007. Celle où Mourad Boudjellal prend la tête du club et fait venir, la saison suivante, le All Black Tana Umaga. « C’était comme si Zidane venait entraîner une équipe de Ligue 2 et ça a permis de faire venir de grands noms du rugby. Ils nous ont montré le haut niveau. » C’est ainsi qu’en 2008, le RCT retrouve une bonne fois pour toutes ce qui est devenu le Top 14. De vraies montagnes russes émotionnel­les. Et pour « Fitzy », qui a dépassé les 30 ans, le dernier looping est proche. La fin de carrière approche. « L’arrachemen­t. » D’autant que ses derniers matches restent des souvenirs cuisants. Une défaite contre Cardiff en finale de petite coupe d’Europe, quelques jours après avoir laissé filer la demi-finale du Top 14 contre Clermont. « J’ai eu le bonheur de jouer ces matches-là, mais ça reste des matches perdus. » Amers et toujours présents même si aujourd’hui, alors qu’il est « pleinement investi dans [son] quotidien », le rugby lui semble « assez abstrait ». « Comme si ce n’était pas moi. » Mais « Fitzy » continue de fréquenter Mayol régulièrem­ent. Bien moins cependant que le tribunal de Toulon, où, dit-il, il s’est intégré sans difficulté. À chaque audience, il retrouve cette pression d’avant match et l’importante du travail qui « mène à la rigueur, à la précision ». De nouveau, il regarde vers la fenêtre. Dévoilant ses fameuses oreilles en chou-fleur, si caractéris­tiques des avants et qui, dans ce bureau, plein de livres de droit et dossiers d’affaire pénales, familiales, sportives, apparaisse­nt comme les réminiscen­ces d’une autre vie. Pourtant Philip Fitzgerald en est convaincu : « Ce n’est pas ce qu’on fait qui nous définit, mais ce qu’on donne. » L’intention qu’on met dans le geste.

Rien de tout ça n’était prévu”

L’arrachemen­t de fin de carrière”

Comme si ce n’était pas moi”

1. Demain, 10 heures, à la faculté de droit à Toulon.

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(Photo Patrick Blanchard) Se reconverti­r n’est généraleme­nt pas chose aisée. Encore moins lorsqu’on a été sportif profession­nel. Passant de la pelouse du stade Mayol aux prétoires du tribunal de Toulon, Philip « Fitzy » Fitzgerald, ancien talonneur du RCT désormais avocat, démontre chaque jour qu’à force de travail, c’est possible.

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