CNRS : de lieues sous les mers aux confins de l’espace
La situation changera sans doute avec la future construction de sa propre base opérationnelle, à quelques centaines de mètres à peine des locaux qu’il occupe actuellement à La Seyne-sur-Mer (lire ci-contre). En attendant, hébergé par l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), le Centre national de la recherche scientifique, le prestigieux CNRS, se fait plutôt discret dans le Var. Presqu’autant que le neutrino qu’il traque par grands fonds depuis plus de dix ans déjà, au large des Îles d’Hyères. Neutrino ? Surtout, n’allez pas croire qu’il s’agit d’un monstre en voie de disparition, tapi dans l’obscurité des abysses… Pour dire la vérité, son univers naturel serait même plutôt… l’espace. Ces particules élémentaires, qui pourraient nous en apprendre beaucoup sur le Big Bang, sont devenues la principale raison d’être de la division technique de l’Institut national des sciences de l’univers (DT Insu), l’entité seynoise du CNRS. Curieusement, c’est dans la mer que ces mystérieuses particules sont le plus facilement détectables. « Lorsque les neutrinos interagissent avec la matière, notamment en traversant le noyau de la Terre, ils produisent des muons qu’il est possible de déceler grâce à un cône de lumière bleue qu’ils engendrent en se propageant dans l’eau », explique Carl Gojak, ingénieur de recherche en conception instrumentale et, par ailleurs, chef de projet pour la réalisation d’observatoires « fond de mer » pour les sciences environnementales. Si le télescope Antares (1), un système complexe, constitué de 900 photomultiplicateurs répartis sur 12 lignes immergées par 2 500 m de fond, continue de fonctionner, son remplacement est d’ores et déjà lancé. Baptisé KM3NeT, pour Cubic kilometer neutrino telescope (2), cet instrument sera constitué cette fois de plusieurs milliers de photomultiplicateurs, répartis sur 120 lignes ! Le déploiement au mètre près de ces dernières et leur raccordement à des noeuds de connexion nécessiteront l’utilisation du Nautile, le fameux « yellow submarine » de l’Ifremer. Mais cette chasse aux timides neutrinos n’est pas la seule activité subaquatique
Pour en savoir plus sur le Big Bang ”
à laquelle se livrent les ingénieurs et autres techniciens de la DT Insu. Dans le cadre du projet Meust (3), des lignes de mouillage et des modules d’interface, tout autant instrumentés les unes que les autres, vont être installés à proximité immédiate du té-
lescope. « Les possibilités sont nombreuses. En plus d’acquérir, toutes les 30 minutes, des données sur les courants, la température, la salinité, la pression, le taux d’oxygène dissous, on va pouvoir étudier les phénomènes de convection des masses d’eau entre le fond et la surface », note Carl Gojak. Et n’est pas tout. Des sismographes, des capteurs de radioactivité, des caméras capables d’observer la faune des abysses, et même les bioluminescences, vont également être utilisés. « Grâce à toutes ces données, on va pouvoir suivre l’évolution du climat, mieux connaître les écosystèmes et même étudier les risques sismiques », se félicite l’ingénieur. Toujours dans cette quête de connaissances de la mer, le CNRS s’est doté en 2008 d’un parc national de gliders. Très utilisés, notamment sur les radiales Marseille-Baléares et NiceCalvi, ces planeurs sousmarins autonomes qui enchaînent les descentes et les remontées, et se déplacent sur des centaines de kilomètres grâce au courant, ont vu leur nombre diminuer au fil des années. « Certains se sont perdus en mer, d’autres sont hors service, faute de pièces de rechange », confie JeanJacques Fourmond, le directeur de la DT Insu. Mais le concept est loin d’être abandonné. Pour preuve, « on vient d’acquérir Sea Explorer, un tout nouveau glider de fabrication française », confie Jeanne Melkonian, la responsable du parc. S’ils sont très régulièrement utilisés dans le cadre du projet Moose (Mediterranean Ocean Observation multi-Sites on Environment), la Grande Bleue n’est pas le seul terrain de jeu de ces concentrés de technologies, à plus 150 000 euros l’unité. « En 2016 on en a utilisé pour mesurer l’incidence du phénomène El Niño sur la pêche, l’agriculture et même les incendies aux États-Unis », raconte Jeanne Melkonian. Plus récemment, fin janvier, « deux gliders ont été dépêchés à La Réunion. Les données récoltées dans les 200 premiers mètres de profondeur devraient permettre de mieux connaître les cyclones, et donc de prévoir leur formation de façon plus précise ». De La Réunion à l’Antarctique, il n’y a qu’un pas. Ou presque. S’il est un ingénieur de la DT Insu qui connaît bien ce continent gelé, c’est Laurent Augustin. Cet ancien du laboratoire de glaciologie de Grenoble a passé quatre ans de sa vie sur la calotte glaciaire du pôle Sud. Il en a « ramené » une carotte de 3 270 mètres ! « L’équivalent de 800 000 ans. La plus vieille archive glaciaire continue jamais analysée », lâchet-il calmement. Mais ce passionné de montagne en a bien fini avec le froid. Désormais, Laurent Augustin travaille toujours pour le CNRS, mais à La Seyne. Plus particulièrement au Centre de carottage et de forage national (C2FN), dont il a la responsabilité. « Quand j’y suis arrivé en 2009, il n’y avait rien. » Un an après, le C2FN était lauréat d’un prix pour le développement d’un nouvel équipement de carottage lacustre. Cet équipement – un carottier avec marteau hydraulique fond de trou, montable sur une barge de 4 x 7 mètres – est aujourd’hui opérationnel. « II a été testé avec succès sur le lac du Bourget. Il va servir à étudier le climat régional dans les lacs. Mais pas que. Les carottes de sédiments peuvent nous renseigner sur des tremblements de terre passés, l’énergie de ces séismes », indique Laurent Augustin. Ce dernier a par ailleurs participé à une campagne de carottage au Brésil, à proximité de São Paulo, dans le cratère Colônia attribué à… une météorite. Retour dans l’espace !
Des planeurs sous-marins pour mieux connaître les phénomènes climatiques ”
La Seyne, capitale du carottage scientifique ”
1. Astronomy with a Neutrino Telescope and Abyss Environmental Research. 2. En fait, deux télescopes de ce type devraient être déployés prochainement. L’un, au large de la Sicile, pour détecter les neutrinos à haute énergie. Et l’autre, au large des côtes varoises donc, pour les neutrinos à basse énergie. 3. Mediterranean Eurocenter for Underwater Sciences and Technologies.