Var-Matin (Grand Toulon)

« Le Festival des jardins, une aventure de coeur »

À l’approche de la 2e édition de cette manifestat­ion azuréenne, Jean Mus, botaniste poète, architecte du vert, tape du poing sur la table en rappelant que la nature a ses raisons que, parfois, le jardinier ne connaît pas

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Dans le paradis de poche dont il a embelli la terrasse de ses bureaux de Cabris, Jean Mus caresse un feuillage avec un émerveille­ment enfantin. S’extasier devant un simple pot de laurier-thym est, pour lui, un plaisir quotidien. On aime ses élans poétiques. On craint ses colères homériques. Il pourrait partir en croisade contre l’arrosage automatiqu­e des ronds-points. Ou pour que cesse le massacre automnal des platanes. Mais ses journées sont à ce point chargées qu’il n’a guère le loisir de se disperser. Déjà 1 600 projets réalisés dans le monde, le plus beau étant toujours à venir. Après avoir cosigné récemment avec l’architecte Jean-Michel Wilmotte un beau livre intitulé Minéral-végétal, chez Ulmer, le président du Festival des jardins de la Côte d’Azur lève un coin du voile sur cette deuxième floraison. Avec, du 30 mars au 28 avril, une marraine prestigieu­se : Marina Picasso.

Les principale­s évolutions à la veille de cette e édition ? D’abord, ce festival est une très belle idée qui vient - j’allais dire : pour une fois ! - du monde politique. J’apporte mon aide avec beaucoup de plaisir et d’honneur. La première fois, tout va bien. Ce qui est plus difficile, c’est d’entreprend­re la suite. Le degré d’exigence doit être plus fort encore. Il faut faire mieux, en tout cas différent. Nice, Cannes, Menton, Antibes et Grasse ; nous pourrions avoir sept, huit, dix, quinze, vingt villes ! Cela doit devenir un événement majeur des Alpes-Maritimes. Alors que la planète entière se dispute et se bat, quelle est pendant un mois l’une de nos préoccupat­ions essentiell­es ? Le bien-être au jardin. C’est le plus beau cadeau que nous puissions nous faire à nous-mêmes et offrir à nos visiteurs.

Combien de jardins éphémères ? Par qui ? Et pour qui ? Jurés et experts auront retenu une dizaine de projets parmi vingt-cinq candidats. Soit autant de sources d’inspiratio­n pour le grand public. Dans un départemen­t qui compte en permanence un million d’habitants, c’est une mission de générosité que de montrer une identité, et non pas des choses que l’on pourrait retrouver à l’identique du côté de Saint-Etienne ou Strasbourg. La banalité, non, ce n’est pas le festival. Nous voulons choisir les meilleurs postulants et leur permettre de s’éclater, de nous faire plaisir, de nous étonner.

Autour d’un thème : « Rêves de Méditerran­ée ». Un peu vague ? Chaque fois que je fais le tour du monde, ce qui se produit à peu près tous les deux mois, lorsqu’on me demande d’où je viens, je commence par dire que j’habite en Méditerran­ée, et j’ajoute que je vis sur la Côte d’Azur. Je n’ai pas trouvé, en cinquante ans, une seule personne qui n’ait envie d’y venir avec moi. La réponse, elle est là. Ce festival est une aventure de coeur, mais aussi une aventure culturelle, artistique, économique. Menée, au départ, par des politiques qui ont compris la nécessité de laisser faire les gens de métier. Si un jour ce n’est plus le cas, c’est foutu.

Beaucoup d’Azuréens n’ont pas de jardin. Mais quand surgit le charançon, c’est toute la Côte qui se met à trembler. Comment expliquer un tel attachemen­t ? On en revient à cette notion de rêve. Les gens qui n’ont pas de jardin doivent pouvoir jouir d’aménagemen­ts publics de qualité. Ceux-là ont toujours du succès et sont toujours respectés, si tant est que leur conception ait été confiée à de vrais jardiniers. Quant aux palmiers, beaucoup d’entre eux nous quittent parce que le charançon rouge est venu leur jeter un sort. C’est la mutation, c’est l’histoire. Le doryphore, en d’autres temps, a détruit la pomme de terre. Le phylloxera, la vigne. Eh bien, au palmier des Canaries, qui n’était pas endémique, il faudra trouver des arguments de substituti­on. On vient d’ailleurs de me confier la responsabi­lité de l’arboretum de Roure. Une greffe extraordin­aire entre des essences du monde entier où l’on peut, à une heure et demie de la mer, venir rencontrer l’ami le plus fidèle et le plus ancien de l’homme.

Mais l’homme n’est pas toujours le meilleur ami de l’arbre… C’est vrai. Quand il se met à tailler les platanes, c’est un massacre punissable. L’élagage commence au mois d’octobre parce qu’on ne veut pas ramasser les feuilles : ça coûte cher. A aucun moment, on n’a le respect du cycle végétatif de nos arbres. Il ne s’agit que de gestion. On va finir par chasser les cerisiers en fleurs parce que les pétales sont gênants. Et l’olivier qui devient japonisant ! Par souci d’économie et par inculture, on martyrise les haies. C’est criminel. Je ne suis pas naïf, cela coûte cher d’entretenir un jardin, et ce n’est pas facile. Je le comprends. Ce que je n’admets pas, c’est que ces comporteme­nts soient initiés par des profession­nels.

Dans le livre Minéral-végétal, chez Ulmer, vos jardins viennent adoucir l’architectu­re de Wilmotte. La courbe versus la ligne ? Je suis un jouisseur, il est beaucoup plus rigoureux. Alafin, c’est le public qui décide. La propension de la nature à se montrer libre, capricieus­e, à faire des bêtises, s’accorde mal avec la volonté de l’organiser, de la diriger. On a besoin de souffler. Un jour, aux sources du Gange, un sage m’a dit : « Jean Mus, vous êtes très sympathiqu­e, mais vous devez apprendre à laisser couler la rivière. » Je ne l’ai pas oublié.

Quand on pratique votre art, on éduque la nature ou l’on s’éduque à la nature ? Les deux. Il faut, avec humilité, l’accompagne­r. C’est l’acte suprême du jardinier que de savoir ce dont elle a besoin et de la laisser faire. Je hais toute forme de dictature, et particuliè­rement cette chose horrible qui fait que tous les ronds-points se ressemblen­t. Un peu de gravier et cinq plantes différente­s par leur famille, par leur origine et par leur port, et que l’on vient pourtant tailler de la même manière et à la même hauteur. En les reliant à un goutte-à-goutte, comme à l’hôpital, parce qu’on ne peut plus payer des gens à tenir un tuyau d’arrosage. Ce n’est pas le couillon que je suis qui va y changer quelque chose. Moi, je raconte l’histoire de la vie, de la vie des plantes. Au lieu de cela, on la réglemente. Crac !

Avec humilité, accompagne­r la nature ”

Ne jamais faire passer le fric en premier ”

Qu’est-ce qu’un jardin réussi ? Un jardin réussi, c’est probableme­nt un jardin bien né. Bien dessiné, bien pensé. Où l’on a fait les choses comme on devait les faire, au bon moment, aux bons endroits, avec les bonnes proportion­s. En pensant à l’avenir. Où, quand on vit avec lui, on se dit qu’il a toujours existé. Mais la naissance d’un jardin, c’est une histoire de spécialist­es, et non pas de fantaisist­es qui auraient décidé de devenir des artistes.

Un jardin par Jean Mus, c’est forcément une fortune ? Ma fierté, mais aussi mon bonheur, c’est de ne jamais faire passer le fric en premier. Je ne devrais pas le dire, mais des gens m’ont parfois écrit ou sont venus me voir en me disant qu’ils aimeraient un coup de main, sans en avoir les moyens. Deux heures après, j’étais chez eux, avec pour seule rétributio­n un verre d’eau. Mais attention : je ne crache pas sur l’argent et je considère que, si les gens ont les moyens de payer, il faut qu’ils paient.

Le plus beau d’entre tous ? C’est assurément celui que je ferai demain matin. Avec mon équipe. Quand on est à la tête d’un orchestre extraordin­aire, on ne veut pas le quitter. Les gens qui m’entourent sont tous des premiers violons qui se régalent à jouer. Et à écrire la partition avec moi.

Festival des jardins, du 30 mars au 28 avril. Programme : festivalde­sjardins.departemen­t06.fr

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