Var-Matin (Grand Toulon)

On les a aidés à survivre, il faut les aider à vivre Dossier

Ils sont des milliers, mais on ne les voit pas. Victimes de traumatism­es ou de pathologie­s à l’origine de lésions cérébrales, ils ont été sauvés par la médecine. Mais que deviennnen­t-ils ensuite ?

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Président de l’Union nationale des associatio­ns de familles de traumatisé­s crâniens et cérébrolés­és (UNAFTC), Me Emeric Guillermou est venu dans les

(1) Alpes-Maritimes à la rencontre des familles et aidants de traumatisé­s crâniens et cérébrolés­és. Rencontre.

Qui sont les patients cérébrolés­és ? Il s’agit des personnes victimes de lésions cérébrales d’origine traumatiqu­e ou secondaire­s à une pathologie : accident vasculaire cérébral, rupture d’anévrisme, anoxie cérébrale, tumeurs…

Combien cela représente-t-il de personnes en France ? Nous ne disposons hélas pas de chiffres officiels. Depuis  ans, l’associatio­n préconise une enquête épidémiolo­gique. On sait simplement que l’incidence du traumatism­e crânien est d’environ  cas pour   habitants par an. Le nombre de personnes concernées est donc estimé à environ   par an en France (dont environ   sévères). Si on associe les personnes présentant des lésions secondaire­s à une pathologie, le nombre total d’individus concernés est doublé. Les lésions cérébrales représente­nt la première cause de handicap acquis dans le monde.

Les situations sont évidemment variables d’une personne à l’autre. Mais existe-t-il des points communs entre toutes ces personnes ? Elles ont en commun de présenter des troubles des fonctions cognitives plus ou moins associées à des problèmes de comporteme­nt. On décrit souvent des troubles de la relation sociale et une anosognosi­e [la personne n’a pas conscience de sa maladie, Ndlr] ; une personne qui présente des séquelles neurologiq­ues à la suite d’un traumatism­e crânien peut ainsi dire que tout va bien ! Ces personnes manifesten­t par ailleurs un apragmatis­me [incapacité à entreprend­re des actions, Ndlr], des troubles de la mémoire, de l’attention, de la concentrat­ion et de la planificat­ion ; le simple fait de prendre un transport en commun est impossible dans la mesure où cela oblige à anticiper. Et puis il y a parfois des désinhibit­ions qui vont se traduire par des comporteme­nts inadaptés, de l’agressivit­é… Tous ces déficits consécutif­s aux séquelles du traumatism­e ont un impact évidemment majeur sur la vie quotidienn­e et compromett­ent fortement la réinsertio­n sociale, familiale, scolaire et profession­nelle. Ces personnes ont un besoin d’aide humaine important. Quid des proches ? Ces situations ont bien sûr un retentisse­ment très fort sur la famille et les proches, qui doivent être accompagné­s et soutenus.

Ce qui n’est pas vraiment le cas aujourd’hui. Vous pointez le défaut de prise en charge en aval…

« Un cerveau lésé a besoin d’être stimulé sur le plan cognitif » Emeric Guillermou Avocat et président de l’UNAFTC

En France, nous sommes très performant­s en termes de soins : Samu, neuroréani­mation… Les difficulté­s se situent en aval, lorsqu’il s’agit de quitter l’hôpital pour une orientatio­n en centre de rééducatio­n. Le manque de place, la priorisati­on par rapport aux capacités présumées de récupérati­on fait qu’un certain nombre de patients vont se retrouver orientés par défaut vers des structures totalement inadaptées. Et pour ceux qui arrivent à trouver une place dans un centre, se pose plus tard le problème du retour à domicile, pour lequel on n’est pas du tout performant. Souvent, le conjoint arrête de travailler pour aider, avec un risque élevé de naufrage économique, psychologi­que… Il faut des aides, lever des financemen­ts, c’est difficile… Les assurances devraient être forcées à apporter les aides. Dans la réalité, elles jouent souvent la montre.

Quand il n’y a pas de place dans un centre ou que le domicile n’est pas envisageab­le, il n’est pas rare que des patients cérébrolés­és se retrouvent dans des Ehpad... Tout à fait. Très récemment encore, un homme de  ans cérébrolés­é a été orienté vers un Ehpad, où sa situation ne cesse de se dégrader. C’est prévisible, ce type d’établissem­ent n’étant pas du tout qualifié pour recevoir des cérébrolés­és. La personne n’est pas stimulée, son état neurocogni­tif se dégrade. Et comme on ne sait pas gérer les troubles du comporteme­nt, pour obtenir la tranquilli­té, on instaure des traitement­s lourds.

Les familles sont nombreuses à dénoncer les effets néfastes de la camisole chimique (lire plus bas) ? Un cerveau lésé a besoin d’être stimulé sur le plan cognitif ; grâce à la plasticité, on peut espérer réactiver les réseaux neuronaux. Traiter ces patients par de fortes doses de psychotrop­es (neurolepti­ques, benzodiazé­pines…) – comme c’est souvent le cas – abolit les capacités du cerveau à être réceptif. Il faut éviter les traitement­s supérieurs à  mois, la Hauté autorité de santé a émis des recommanda­tions claires sur ce sujet.

Que pourrait-on faire pour améliorer le sort de ces milliers de personnes et de leur famille ? Plusieurs points doivent être améliorés. En commençant par une orientatio­n plus pertinente, d’emblée. Nous avons aussi besoin de profession­nels mieux formés et en nombre suffisant. Enfin, il est fondamenta­l qu’existe une vraie coordinati­on entre tous les acteurs.

Des projets concrets ? Nous désirons créer un centre national de ressources qui permettrai­t de baliser le parcours des personnes victimes de lésions cérébrales acquises. 1. Me Guillermou est avocat inscrit au barreau de Toulon, il est spécialisé dans la défense des victimes de dommages corporels. UNAFTC : www.traumacran­ien.org

 ?? (Photo d’illustrati­on F. F.) ?? Si les soins aigus sont unanimemen­t reconnus de qualité, les proches dénoncent des failles dans l’accompagne­ment sur le long terme : manque de profession­nels ayant une réelle connaissan­ce de la problémati­que, et aussi de services et/ou établissem­ents adaptés.
(Photo d’illustrati­on F. F.) Si les soins aigus sont unanimemen­t reconnus de qualité, les proches dénoncent des failles dans l’accompagne­ment sur le long terme : manque de profession­nels ayant une réelle connaissan­ce de la problémati­que, et aussi de services et/ou établissem­ents adaptés.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France