Aux policiers épuisés, la République reconnaissante
« À qui le tour ? » Vingt-huit policiers se sont suicidés depuis le début de l’année. « A qui le tour ? » Posée hier par une syndicaliste niçoise, la question tourne, lancinante, comme l’épée de Damoclès, au-dessus des policiers et gendarmes répartis dans tout le pays. Sur leurs gardes en permanence, dans l’exercice de leur métier, ils doivent en plus se méfier d’eux-mêmes. Et c’est épuisant. Bien sûr, ce n’est pas la seule catégorie de serviteurs de la République déboulonnés de leur piédestal : les enseignants, les infirmières, les pompiers, tous ces métiers qui font encore rêver les enfants et s’attiraient au siècle passé l’estime des citoyens souffrent aujourd’hui d’un même mal. Non seulement ils sont mal payés, mais en prime, ils sont déconsidérés. Ils étaient les hussards noirs, les gardiens de l’ordre, les soldats du feu. Ce temps-là est révolu. Le désabusement, et parfois le désespoir, s’est instillé partout dans la fonction publique. Mais il est encore plus vif dans les brigades et les commissariats. Le taux de suicide dans la police est de % supérieur à la moyenne nationale. Certes, ces gestes ultimes ne s’expliquent pas tous à cause des heures supplémentaires non payées, du manque de matériel et des locaux jamais repeints. Mais ils pèsent méchamment dans les têtes. On peut s’étonner qu’il ait fallu attendre la fin avril pour installer, enfin, une cellule « alerte-prévention-suicide ». On peut aussi être scandalisé, au diapason des syndicats de police, du montant des heures supplémentaires jamais payées, à la louche, millions d’euros, accumulées sous la gauche et sous la droite. « Pendant des dizaines d’années » prend soin de préciser l’actuel ministre de l’Intérieur. Le budget a augmenté : « plus d’un milliard en deux ans » assure Christophe Castaner. Mais sur le terrain, « rien ne se passe », témoignait hier un policier toulonnais. Il y a sans doute des arrière-pensées politiques chez les sénateurs qui ont déposé l’an dernier propositions pour mieux lutter contre ces suicides à répétition. Tout comme chez les députés d’opposition, comme Eric Ciotti (LR) qui réclame « à terme, milliards d’euros pour nos forces de police ». La majorité actuelle est encore la mieux placée pour envoyer un signal fort et rapide : lors de la conclusion du Grand Débat, par exemple, Emmanuel Macron serait bien inspiré d’annoncer jeudi, dans leur direction, du très lourd et du très concret.