Var-Matin (Grand Toulon)

« Il n’y a pas d’autres fautifs que nous-mêmes »

Au sortir du confinemen­t, le leader du groupe marseillai­s IAM ne veut pas se « focaliser sur du destructif » et imagine une société collective­ment plus responsabl­e pour demain

- NATHALIE RICCI

‘‘ Je préférerai­s faire du constructi­f”

Le sens de la repartie toujours aussi aiguisé et l’oeil toujours aussi affûté sur le monde qui l’entoure, Akhenaton, l’un des piliers du groupe IAM, nous a accordé un entretien vidéo depuis Marseille, où il est resté confiné en famille. La parole juste et toujours dans le tempo de ce sage des temps modernes dresse le constat de ce qui ne va pas, mais reste, malgré tout, optimiste et porteuse d’espoirs pour demain…

Comment avez-vous vécu cette parenthèse qu’a été le confinemen­t ? Au départ, comme on a été interrompu après la troisième date de la tournée, il y a eu de l’incompréhe­nsion et un peu de colère de se dire qu’on avait travaillé tous ces mois pour rien. Et très vite, je me suis dit que ça ne servait à rien de vouloir ramer contre le courant, que j’allais essayer de prendre du temps, de profiter de la famille. J’ai trois enfants adultes, que je ne vois jamais. Tous les trois en même temps dans la maison, c’est très rare… Et puis, j’ai pris ma plume et j’ai écrit des morceaux. J’ai rejoint Just Music, un collectif de compositeu­rs marseillai­s. Ils m’ont envoyé des instrus et, entre le  mars et le  mai, j’ai écrit seize titres. On va sortir un album en télécharge­ment gratuit sur les plateforme­s de streaming d’ici une dizaine de jours. Ça m’a pas mal occupé. J’ai fait un peu de sport, regardé quelques séries…

La vie reprend doucement son cours, mais c’est un sale temps pour la culture et ceux qui la font…

Oui… J’ai failli écrire une lettre au Président parce que dans les premiers discours, on était complèteme­nt exclus. Ce qui est fâcheux c’est de devoir rappeler aux gens ce qu’on représente économique­ment, c’est chiant de devoir toujours dire : “On existe. Attention”. On pèse deux fois l’industrie du luxe, deux fois l’industrie automobile… Spécialeme­nt dans ce pays, on est systématiq­uement traités comme des saltimbanq­ues, des millionnai­res qui n’auraient pas le droit de se plaindre. Or, dans la culture il y a des gens qui vivent très bien et des tas de gens qui ont de grosses difficulté­s. Et, surtout, on crée des choses utiles à la vie. Se faire soigner le corps, c’est utile, mais se faire soigner l’âme, c’est très utile aussi. Ce sera très compliqué pour nous par la suite, bien plus compliqué que pour d’autres…

Ce confinemen­t a mis en lumière des choses qui ne fonctionna­ient déjà pas très bien, comme la santé justement… Je ne vais pas faire comme des gens énervés qui ont envie de remettre un gilet de la DDE et se focaliser sur du destructif, je préférerai­s faire du constructi­f. Mais, on peut parler de ce qui ne va pas. Pour moi, la cause n’est pas dans ce gouverneme­nt, elle n’est pas dans le gouverneme­nt précédent, elle est dans l’ensemble des gouverneme­nts d’aprèsguerr­e. Et même d’avant-guerre, quand la France prend l’option de donner notre médecine aux mains des laboratoir­es. Depuis ce moment-là, on a une médecine monolithiq­ue, une absence de prévention, d’ouverture d’esprit et on traite de charlatans tous les gens qui soignent différemme­nt. Même si je pense en mon for intérieur et on le verra si on peut tester massivemen­t les gens, que ce viruslà est à peine plus mortel que la grippe, ce sont nos mauvaises conditions de traitement, d’hygiène et de prévention qui créent cette mortalité-là. Et je trouve ça très grave. Pourquoi en France, on veut toujours imposer des choses et renvoyer des ascenseurs ? En fait, on s’est moqué pendant des années de l’Italie, mais on est un pays encore plus clientélis­te que la vanne que l’on fait sur les Italiens à longueur de temps. On est un pays de renvois d’ascenseur et l’hôpital français a été mis à terre par des dizaines de gouverneme­nts successifs…

L’idée c’est de trouver des solutions… Oui et de trouver des gens compétents, d’avoir des vrais débats sur l’écologie, sur comment on vit, comment on consomme. C’est une question que je me pose moi-même. Je suis un enfant né de la société de consommati­on et je ne peux même pas compter les choses inutiles que j’ai achetées dans ma vie. Mais au bout d’un moment, il va falloir qu’on y passe. Y compris des tas de gens qui donnent des leçons en se connectant sur Internet et sur wifi, sachant que c’est très polluant. Tout est imbriqué. Jusqu’où on peut aller ? Ce virus-là c’est peut-être un signal de la Terre qui réagit, qui dit “Stop”. Délocalise­r à Wuhan pour faire une marge de vingt centimes, il faut qu’on se demande si on doit continuer à le faire. Je ne dis pas de ne plus délocalise­r du tout. Si je fabrique des bols japonais, je vais aller au Japon parce qu’il y a un savoir-faire. Mais pour les produits de consommati­on courante, c’est un souci. Ce que l’on vit aujourd’hui, c’est un modèle de consommati­on que nos parents ont validé du moment où ils ont validé les hypermarch­és. Je vois des tas de gens s’offusquer pour les “pauvres agriculteu­rs”, mais c’est nous aussi, en allant au supermarch­é, qui validons ce système-là. Il n’y a pas d’autres fautifs que nous-mêmes.

Tout le monde, ou presque, est en train de prendre conscience de tout cela. Mais est-ce que cela va durer ? Il y a des questions d’habitudes ancrées, il y a aussi des questions de volonté. Si on va automatiqu­ement dans une voie d’opposition et de règlement de compte, on ne s’en sortira pas. Après, ce sont des décisions individuel­les qui doivent être suivies de décisions politiques et je ne suis pas persuadé que les gens qui sont élus, d’un point de vue local ou national, ont des volontés spéciales d’aller dans ces directions-là. Ils sont dans un fonctionne­ment traditionn­el, basé autour de l’économie, l’économie… Et l’économie ! C’est aussi du politique et c’est aux élections qu’on décide de ça.

Pas de festival cet été mais des dates à la rentrée, notamment à Nice et à Marseille… Hâte de retrouver la scène ? On a été méga frustrés, on a joué à Grenoble, Saint-Etienne et Clermont-Ferrand et c’est sur le trajet pour Reims qu’on a appris que la tournée s’arrêtait… C’est un peu comme si vous aviez un sprint, vous démarrez et au bout de dix mètres, vous arrêtez les coureurs et vous leur dîtes : “Dans huit mois, vous finissez les quatre-vingt-dix qui restent”… On ne redémarre pas à zéro mais on a perdu l’influx. On va travailler énormément cet été, mais on est super-impatients.

Est-ce qu’on peut quand même voir une bonne nouvelle dans ce confinemen­t avec l’OM qui retrouve la Ligue des Champions ? (Rires) On aurait aimé être qualifié avec un championna­t qui va jusqu’au bout, mais on est très satisfait. Après, il faut savoir ce qu’on va faire dans la Ligue des Champions, donc il faut qu’on ait un effectif et des joueurs qui nous permettent au moins de pouvoir faire bonne figure. On croise les doigts.

IAM en concert, Rap Warrior Tour 2020.

Vendredi 27 novembre, Nikaïa, à Nice (nikaia.fr) et samedi 28 novembre, Le Dôme, à Marseille (dome.marseille.fr).

‘‘ C’est un signal de la Terre”

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