Var-Matin (Grand Toulon)

« Le confinemen­t a produit le meilleur... et le pire »

Confiné à Nice, l’avocat Eric Dupond-Moretti en a profité pour écrire et... cultiver son jardin. Pas question pour lui de transiger sur les principes de justice, même en temps de crise sanitaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

L’avocat Eric Dupond-Moretti a passé cinquante-six jours de confinemen­t à son domicile niçois. Il rentrait hier à Paris pour préparer les procès d’assises prévus en juin. Il revient sur ses semaines de travail, d’introspect­ion et de… jardinage.

Où avez-vous passé la période du confinemen­t et avec qui ? A Nice, seul. Ce n’était pas du tout volontaire. On a été pris de court. Je me suis retrouvé loin de ma famille, loin de ma compagne confinée sur la banquise… (la chanteuse canadienne Isabelle Boulay, ndlr).

Vous aviez des projets d’écriture. L’inspiratio­n a-t-elle été au rendez-vous ? J’ai écrit une pièce de théâtre et un bouquin de nouvelles. Mais c’était très difficile de se mettre en marche. On se dit qu’on a beaucoup de temps. J’étais tellement désarçonné au début. J’ai eu du mal à m’imaginer à l’arrêt. On finit par s’y habituer. On s’habitue à tout, même au pire. Le télétravai­l, ce n’est pas mon truc. Moi, c’est soit télé, soit travail. La visioconfé­rence non plus. Mais il ne faut pas se laisser aller. Le matin, j’avais des contacts avec mes collaborat­eurs, avec des clients, puis j’ai pu me faire plaisir. J’ai beaucoup écouté de la chanson française classique (Reggiani, Ferré…), j’ai lu « Quand la Beauté nous sauve » de Charles Pépin et relu « La Promesse de l’Aube », de Romain Gary. Et j’ai beaucoup réfléchi à la privation de liberté. C’est un sujet qui m’inspire.

Vous êtes-vous découvert de nouvelles passions ? Oui, pour le jardinage. J’ai planté des herbes aromatique­s, mélisse, sarriette, marjolaine, des piments… J’ai toujours cuisiné mais je n’ai jamais pris le temps de jardiner. J’ai abattu des arbres, j’en ai planté. Des choses que je n’aurais jamais faites sans le confinemen­t. Je me suis rendu compte à quel point, quand on est privé de liberté – même si cette privation était pour la bonne cause – ,on décompose le temps. Pour moi qui me lève très tôt (je dors peu), j’avais une appréhensi­on du temps différente. L’idée d’aller chercher du sel vous réjouit… c’est toujours ça de pris sur l’ennui.

A une journée et demie de la fin du procès de la fusillade du lycée Tocquevill­e de Grasse, tout s’est arrêté. Quel était alors votre sentiment ? Une frustratio­n totale. On avait vécu trois semaines d’une audience exceptionn­elle, menée par un président très humain (Patrick Veron, ndlr) ,avecdes jurés d’une attention incroyable. Eux aussi ont exprimé leur frustratio­n au moment de lever le camp. Ces citoyens passionnés, investis, ont été déçus de ne pas être allés au bout de leur réflexion. Et dire que certains ne veulent plus du jury populaire…

La détention provisoire a été prolongée sans débat, hors de la présence des avocats à cause de la crise. Une réaction ? Rendez-vous compte qu’à Marseille, des gens ont été envoyés en prison sans même être présentés à un juge. Ça ne s’était pas vu depuis  et ça n’a pas ému grand monde. Quelques magistrats ont résisté, mais la majorité s’est soumise quand on a décidé à huis clos de maintenir des hommes en détention.

Il y a eu aussi beaucoup de libération­s anticipées de détenus... C’était la moindre des choses et ça s’est fait avec une présentati­on à un juge. Au début, il n’y avait même pas de gel hydroalcoo­lique de peur que les détenus le boivent. Ils étaient non seulement confinés mais privés de parloirs. Ceux qui ont été libérés étaient en fin de peine, et pour les infraction­s les moins graves. Je regrette que le président de la République n’ait pas renoué avec le droit de grâce qui relève de son pouvoir régalien. On aurait pu envisager une décision plus politique. Alors qu’en cette période on a remis l’humain devant un certain nombre de contingenc­es économique­s, j’ai appelé de mes voeux une amnistie. Je rappelle que seule la Moldavie fait pire que la France en Europe en ce qui concerne les conditions de détention. Les juridictio­ns internatio­nales qualifient régulièrem­ent nos prisons d’inhumaines, de dégradante­s. C’est l’occasion ou jamais de réfléchir à cela.

Une magistrate, dans Dalloz Actualité, a écrit un très beau texte en hommage aux avocats qui, dit-elle, lui manquent en cette période... Moi aussi, les grands juges me manquent… Des juges ont été très humains en cette période mais pas tous. Le confinemen­t a produit le meilleur et le pire. Quant à ma profession, elle souffre. C’est une période funeste pour les avocats : on a tué le secret profession­nel, remis en cause le régime de retraite, puis est venu le Covid :   cabinets vont mourir. Je pense aux jeunes qui n’ont pas de trésorerie. C’est un métier qui s’est extrêmemen­t précarisé.

Des plaintes fleurissen­t contre des ministres. Qu’en pensez-vous ? Cela m’insupporte. Je ne suis pas un courtisan, tout le monde le sait. Pour autant, je pense que les gens aux responsabi­lités n’ont pas dû dormir beaucoup. La moindre de leurs décisions peut avoir des conséquenc­es incommensu­rables en termes de santé publique. Cela me saoule, tous ces « y’a-qu’à-faut-qu’on », et l’exploitati­on politicien­ne qui va avec. On peut reprocher quelques couacs bien sûr. Mais on se rend compte que la communauté scientifiq­ue a beaucoup tergiversé. Il va de soi que nos gouvernant­s aussi. J’ai bien aimé qu’Edouard Philippe explique que certains propos critiques tenaient de la conversati­on de bistrot. C’est une crise inédite et pas un gouverneme­nt dans le monde ne peut se prévaloir d’avoir tout réussi. Il y a eu des couacs un peu partout. Je ne demande pas qu’on les applaudiss­e, mais de là à ce qu’on leur crache dessus…

Quand allez vous reprendre votre Tour de France des tribunaux ? Les procès d’assises en mai ont tous été annulés. Je rentre à Paris demain pour préparer les procès de juin.

Vous allez plaider avec un masque ? On démasquera les coupables plus facilement.

Je regrette qu’il n’y ait pas eu de grâce présidenti­elle”

Vous êtes passionné de fauconneri­e. Vous avez pu prendre soin de vos oiseaux ? J’ai découpé l’attestatio­n dans Nice-Matin que je lisais tous les jours mais il n’y avait pas la case « Doit aller rendre visite à ses faucons. » Ce n’était pas un motif impérieux. Ils sont chez un ami, ils ont très bien vécu le confinemen­t, eux.

Cela me saoule, tous ces y’a-qu’àfaut-qu’on !”

Ce qui vous a manqué le plus pendant cette période ? Embrasser les gens que j’aime.

C’est pour bientôt ? J’espère.

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(Photo Jean-François Ottonello) « A Marseille, on a mis des hommes en prison sans les avoir présentés à un juge. Ce n’était pas arrivé depuis  », s’insurge Me Eric Dupond-Moretti.

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