« Ni héros, ni médailles »
Dans les Ehpad, des moyens « catastrophiques »
La pandémie de Covid 19 a épargné l’Établissement hospitalier pour personnes âgées dépendantes où travaille Mya (1). Dans cet EHPAD situé dans le Haut Var, la configuration des lieux collectifs, notamment la salle de restauration, ne permet pas de respecter les distanciations physiques nécessaires pour éviter la transmission de la maladie. « Avant que le confinement soit imposé et officiel, la direction a pris la décision de confiner les quarante-six résidents dans les chambres, explique cette infirmière, qui ne dispose que de cinq masques par semaine. Nous n’avons pas eu de cas, et c’est un soulagement. On reste soucieux et vigilants, car la menace est toujours là. » Face au risque, elle juge les moyens « catastrophiques » pour elle comme pour toute l’équipe.
« On court tout le temps »
Désormais, elle doit distribuer les médicaments chambre par chambre, et contrôler la température des résidents deux fois par jour, les noter sur un papier avant de tout rentrer sur un ordinateur. « Tout ça demande plus de temps » selon Mya qui estime nécessaire « la présence d’un deuxième infirmier de jour au minimum, et de deux ASH (agent des services hospitaliers, Ndlr) supplémentaires pour le ménage ». Le virus complexifie le travail habituel : « Quand il y a un cas suspect, il y a un habillage, déshabillage avec des tenues de protection pour entrer et sortir de la chambre. Idem pour les retours d’hospitalisation ou de dialyse. Les personnes sont isolées avec des mesures de protection et un isolement de 14 jours. C’est très perturbant pour certaines qui ont tendance à la dépression, d’autres se sont laissées aller, et beaucoup ne comprennent pas le confinement, pourquoi on ne peut plus les toucher. Les résidents ont un énorme besoin de contact physique, de tendresse. On a eu des syndromes de glissement du fait de cette distanciation, de cet isolement. Ils sont tellement fragiles. On essaye de rassurer ceux qui comprennent, même si on vit avec nos propres peurs ». Le rythme a été très soutenu pour toute l’équipe, qui s’est serré les coudes. « On court tout le temps. Et tout le monde a fait des choses qu’il ne fait pas d’habitude. Les ASH aussi sont en souffrance, elles tournent sur la cuisine, le ménage, la lingerie. Le cuisinier a apporté des plateaux-repas lui-même, l’animatrice également. Elle a dû faire des animations en chambre, etc. » Avec le déconfinement, les familles qui pouvaient garder le contact grâce à une tablette dont l’établissement a été doté, voient leurs proches selon un protocole précis mais « certaines ne veulent plus revenir dans ces conditions. C’est beaucoup de souffrance pour elles, pour les résidents et pour nous de les voir ainsi », dit Mya. Mère d’un bébé, elle vit aussi avec «lapeur de contracter le virus, de l’apporter à l’Ehpad ou de le ramener à la maison ».
« Ils nous ont humiliés »
À la fin de son témoignage, l’infirmière ne peut s’empêcher de hausser le ton : « Nous sommes déjà parmi les plus mal payés d’Europe et nous sommes déjà descendus dans la rue pour le dire et pour réclamer des moyens dignes de la sixième puissance mondiale. On ne nous a pas écoutés. Nous sommes méprisés par le gouvernement, le Président. Là, ils nous ont promis beaucoup parce qu’il y a cette crise, mais finalement, il n’y a pas de reconnaissance. Avec cette médaille, cette prime, ils nous ont humiliés. J’ai beaucoup d’incompréhension, de colère, car nous avons tous besoin du secteur public de la santé, qui est de plus en plus marchandisé. Alors c’est bien de nous applaudir, de nous remercier. Mais qu’on arrête de dire qu’on est des héros et de nous traiter ainsi. On nous propose de défiler le 14 juillet ! Si on devait aller à Paris le 14 juillet, c’est pour s’emparer de l’Élysée, comme certains l’ont fait en prenant la Bastille en 1789. »
1. Son prénom a été modifié à sa demande.