Var-Matin (Grand Toulon)

La série qui a tout changé

Diffusée pour la première fois en 1990, la série phénomène de David Lynch a révolution­né de A à Z la production télévisée

- MATHIEU FAURE

Attention, mythe en approche. Série révolution­naire, parfois envoûtante et difficile d’accès, Twin Peaks aura marqué la production télévisée comme jamais. En jargon juridique, on appelle ça une jurisprude­nce. Fin des années 1980, ABC connaît une érosion de son audience et souhaite inverser la courbe. C’est alors que les dirigeants de la chaîne rencontren­t David Lynch et Mark Frost. Le duo débarque avec un concept de série, celui d’un agent du FBI qui se retrouve dans une ville imaginaire du Nord-Ouest à la frontière du Canada pour enquêter sur un meurtre, celui de Laura Palmer. Lynch et Frost n’ont qu’une demande : une liberté totale et absolue. En gros, que la chaîne n’intervienn­e sur aucun aspect du projet. Car Lynch et Frost veulent produire quelque chose d’unique. Une série qui oscille entre le polar, le fantastiqu­e, le drame et le soap, mais avec aussi une bonne dose d’humour, de mystère et d’audace. Mieux, l’idée est d’égratigner l’Amérique à une heure de grosse audience. C’est osé. Quasiment jamais-vu. Séduite par le pilote, ABC commande une première saison, celle-ci fera un carton dans la case très demandée du dimanche soir (35 millions de téléspecta­teurs) avant de migrer le jeudi soir où son audience est subitement divisée par trois. Malin, le duo Lynch et Frost a tout prévu pour revenir pour une deuxième saison, ne résoudre aucune énigme et terminer la première saison par un cliffhange­r gigantesqu­e. C’est la première fois dans l’histoire de la télévision américaine qu’une intrigue se déroule sur plusieurs épisodes. Ce qui semble naturel en 2020 était une véritable révolution en 1990.

X-Files, The Killing...

Pour la suite, Lynch est moins heureux car il résout l’intrigue rapidement mais, surtout, il doit faire face aux audiences monstrueus­es... du journal télévisé qui est en pleine guerre du Golfe. Même si la série termine dans l’anonymat le plus total avant de connaître une surprenant­e troisième saison en 2017, son arrivée sur les écrans au début des années 1990 a tout renversé sur son passage. David Lynch, le réalisateu­r américain d’Elephant Man, Dune et Blue Velvet, débarque à la télévision avec ses codes et son oeil issu du cinéma. La narration est ambitieuse avec un nombre récurrents de personnage­s principaux qui sont tous, plus ou moins, reliés les uns aux autres. Une technique subtile et innovante en 1990 que l’on reverra par la suite dans Lost. Lynch, c’est aussi un regard. Un style. Alors il se permet des choses jusqu’ici inédites à la télévision : images léchées, bande-son travaillée puisqu’après avoir signé la bande originale de Blue Velvet Angelo Badalament­i retrouve le réalisateu­r pour composer les thèmes musicaux envoûtants de la série, scénario à tiroirs. Le choc est à la fois visuel et culturel. Le téléspecta­teur est sorti de sa zone de confort. L’unité de lieu n’empêche pas de mettre en scène des décors somptueux : la chambre rouge, la porte secrète de Catherine Packard, la loge noire, sans oublier les bois qui entourent la ville de Twin Peaks. Fils d’un ingénieur des eaux et forêts, Lynch a grandi dans le Nord-Ouest et passait son enfance dans les bois. La légende raconte qu’il mâchait la sève des pins d’Oregon dans son adolescenc­e. La série tient aussi beaucoup à Kyle MacLachlan, parfait en agent du FBI Dale Cooper et sa raie impeccable sur le côté. C’est autour de lui et de sa passion pour les tartes du RR Diner que la légende Twin Peaks va grandir. Surtout, la série peut se vanter d’avoir fait naître des vocations ici et là. Souvent moquée à l’époque, la télévision est alors devenu un formidable laboratoir­e pour les showrunner­s ambitieux. C’est ainsi que Damon Lindelof, le papa de Lost et de The Leftovers, n’a jamais caché son admiration pour l’oeuvre de Lynch. D’autres mastodonte­s du petit écran se revendique­nt également de l’héritage Twin Peaks : X-Files, Desperate Housewives, Top of the Lake, Fargo ou The Killing. Excusez du peu.

Lynch, l’oeil de lynx

trois saisons, disponible sur MyCanal.

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