Var-Matin (Grand Toulon)

L’INCROYABLE ARNAQUE

PLUS DE  PERSONNES RUINÉES DANS LE SUD DE LA FRANCE

- JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr

Ils croyaient avoir touché du doigt le rêve américain, en ayant acquis des villas dans le Wayne County à Détroit. Ils sont propriétai­res d’une ville fantôme. L’escroqueri­e porterait sur plus de 50 millions de dollars. L’affaire a fait sans doute plus de 450 victimes. Les loyers que ces acquéreurs percevaien­t n’étaient qu’une illusion, fruit d’une colossale pyramide de Ponzi : les derniers investisse­urs injectaien­t du cash dans le système, ce qui laissait croire aux premiers acquéreurs que leur retour sur investisse­ment était réel… Un drame pour les investisse­urs azuréens : ils sont plus de 315 sur la Côte d’Azur et une dizaine à Monaco. Au fil des jours, leur nombre augmente. L’escroqueri­e aurait fait également une centaine de victimes dans la région bordelaise, à Gap et dans les Bouches-du-Rhône. Au total, ce sont plus de 1 200 villas qu’ils ont payé 24,9 millions de dollars et pour lesquelles ils croyaient recevoir en retour des loyers depuis 2016.

Un patron du BTP escroqué sur le fil

Placement à fort rendement : 30 000 dollars de crédit vendeur sur cinq ans, s’ajoutant à un apport équivalent, devaient leur garantir 800 à 850 dollars de loyers mensuels. Si ces maisons avaient juste existé. Dans le meilleur des cas, il s’agissait en fait de ruines, parfois dévastées par des incendies, dans le quartier ghetto du Wayne County. Mais le plus souvent, dans 85 % des cas, ces maisons avaient été vendues à plusieurs personnes au gré d’une chaîne sans fin. Tout s’est donc effondré le 14 janvier, lorsqu’aux États-Unis, Paul De Bastos, un Français d’une quarantain­e d’années, président de D3 Invest, société de courtage qui proposait ces investisse­ments clés en main à Détroit, a vidé d’un simple clic les comptes de ses clients français de 1,4 million de dollars (lire en page suivante). Depuis, les investisse­urs n’ont plus de son, plus d’image. Un drame pour nombre d’entre eux qui ont saisi les autorités judiciaire­s en ordre dispersé. Des victimes aux profils très différents. Beaucoup de retraités ayant investi toutes leurs économies dans ce montage immobilier qui semblait devoir leur fournir un rendement (17 %) confortabl­e sans grande risque. Des couples d’actifs, cadres moyens ou supérieurs, en quête d’un placement pour leurs enfants. Plus rares, trois gros investisse­urs. L’un d’entre eux, patron d’une PME du BTP à Marseille, avait déjà acquis 43 de ces maisons depuis 2008. Quelques heures avant que D3 Invest aspirent toutes les liquidités sur les comptes clients, il venait de transférer 2,4 millions d’euros en vue de l’acquisitio­n de 71 villas supplément­aires à Détroit…

La victime zéro à Bordeaux

C’est sur la Côte d’Azur que l’affaire a fait l’essentiel des dommages. Les « victimes zéro » sont pourtant bordelaise­s. Dès 2016, c’est dans la capitale de la Gironde que Jean-Pierre Sicre, un agent immobilier, commercial­ise pour le compte de Paul De Bastos et D3 Invest les premières maisons en briques rouges. « Après la terrible crise des subprimes qui a jeté des milliers de gens à la rue, Détroit mettait le paquet pour attirer les investisse­urs. La cité sortait du tunnel », raconte-t-il. Jean-Pierre Sicre se rend sur place. Il veut se faire une idée. Il y rencontre des courtiers qui proposent des biens immobilier­s intéressan­ts pour des placements sans risque. « Sur place, j’en ai vu une bonne dizaine. Tous Américains. Et je tombe sur Paul De Bastos. Un Français. Il semble bien introduit. Il vit en Floride. Sa boîte, D3 Invest, a pignon sur rue à Détroit, emploie une dizaine de personnes, toutes francophon­es. Il n’y a pas la barrière de la langue. Il me convainc d’être son intermédia­ire en Gironde. » Le Bordelais y croit tellement qu’il investit en personne avant de démarcher ses clients. Quatre villas. Test réussi. À distance, dans le Michigan, les équipes de Paul De Bastos

s’occupent de tout : perception des loyers, travaux, paiement des taxes et surtout interface administra­tive pour la validation des actes de propriété avec le service du cadastre à Détroit : « Ce qui est garanti par De Bastos fonctionne. Le reliquat des loyers, une fois déduites les mensualité­s du crédit vendeur que j’ai souscrit auprès de D3 Invest, tombe sur une carte de crédit personnell­e. » En quelques mois, il trouve une trentaine de clients à De Bastos. Dans le petit monde de la gestion de patrimoine, le bouche-à-oreille fonctionne vite. Jean-Pierre Sicre en parle à ses amis. Notamment à Sébastien Rogge, un Azuréen de 48 ans. Antom Patrimoine, sa société de gestion de patrimoine placée le 20 avril dernier en liquidatio­n judiciaire à cause de cette affaire, est alors florissant­e. Une quinzaine d’employés. De beaux bureaux à Sophia Antipolis. Un portefeuil­le de clients fidèles.

Pas de visite

Sébastien n’a pas encore de Rolex, mais il a réussi. « Ces investisse­ments à Détroit semblaient idéaux pour booster mon activité en aidant mes clients à mieux investir. » Après une visite à Détroit où il rencontre De Bastos, le patron d’Antom Patrimoine met toutes ses équipes sur ce dossier. Comme son confrère bordelais, il achète d’abord en nom propre quatre maisons, pour son fils, son neveu. Puis 43 autres qu’il loge dans une société à participat­ion. Le test est probant. Recrutant même un influenceu­r du Net chargé de vanter les villas de D3 Invest sur Instagram, il convainc 270 Azuréens de placer leurs économies dans la brique du Michigan. Quand certains de ses clients niçois, cannois ou marseillai­s tiennent à se faire une opinion sur place, Sébastien les accompagne, les met en contact avec Paul De Bastos ou ses équipes. Géraldine, qui y a acquis quatre de ces villas fantômes, se souvient de ce trip immobilier : « On a été pris en charge dès notre arrivée. On nous avait donné un listing de biens disponible­s. Souvent dans des quartiers un peu tendus, mais on sentait que les programmes de rénovation urbaine y étaient en cours. » Géraldine confirme avoir visité ce jour-là deux maisons. Elles ne correspond­aient pas à ses attentes. « On a donc poursuivi notre exploratio­n du Wayne County en suivant le listing des biens en vente. On s’arrêtait devant chaque villa. Mais on ne pouvait pas visiter celles qui étaient occupées par des locataires. C’était frustrant, mais cela démontrait qu’il y avait bien un marché locatif ! Comme D3 Invest n’était pas le seul à organiser des visites et que les actes de propriété figuraient dans notre dossier, on s’en contentait. »

Une épouse en guise de pseudo-notaire

Sébastien raconte qu’en trois ans, il a fait ainsi 35 allers-retours à Détroit. Toujours avec ses clients, sans jamais se douter de quoi que ce soit. Paul De Bastos est toujours disponible. Il les met en contact avec les plus hautes autorités de l’État du Michigan. « Même après l’acquisitio­n, lorsqu’une fois ou deux, il y a eu des bugs sur le versement d’un loyer ou sur des histoires de réparation­s, il a toujours fait montre d’écoute et de réactivité », confirme le cadre d’une société financière azuréenne. Rassurant ! Le qualificat­if revient sans cesse. Expatriés en Floride, Paul et sa compagne Virginie vivent à Plantation près de Miami. Paul y est même devenu le chouchou des médias français. Lorsqu’en 2008, il faut illustrer la « reconquête immobilièr­e du centre de Miami », il est le héros d’un long reportage de France 2 sur les nouveaux investisse­urs français en Floride. Virginie, qui gère un site de wedding planner (planificat­eur de mariages) – baptisé Paul et Virginie – devient l’une des guest stars d’un reality show à fort audimat : L’Incroyable Fiancé. Mais dans cette affaire, elle est surtout public notary (notaire public). À ce titre, elle appose, depuis 2016, son tampon en bas de tous les actes d’acquisitio­n des victimes azuréennes. Un titre trompeur pour un francophon­e. Loin de la charge notariale, la fonction de public notary – qui n’est pas une profession juridique – ne donne droit en effet qu’à légaliser des signatures sur des actes, sans garantie sur leur contenu...

Déjà dans le Dakota du Nord en 

Alors qu’une enquête judiciaire devrait être ouverte dans les prochaines heures par le parquet de Grasse, les antécédent­s de Paul De Bastos remontent à la surface. Avant qu’il ne s’installe à Miami, le tycoon français de la ruée sur l’immobilier US avait été condamné le 30 mars 2015 par le tribunal de commerce de Paris à cinq ans d’interdicti­on de gestion. L’affaire n’avait pas été médiatisée. Pas plus que celle du Dakota du Nord dont Me Sauphanor, agissant pour le compte d’une vingtaine de victimes azuréennes, fait aujourd’hui état. Le dossier remonte à 2015. Sur fond de crise du pétrole, les États-Unis décident d’exploiter les gisements de gaz de schiste du Dakota du Nord. Sur le mode de la ruée vers l’or, des projets de « villes nouvelles » fleurissen­t dans cet État où des milliers d’emplois vont être créés. Les appartemen­ts que Paul De Bastos aurait alors commercial­isés sur plans ne sont jamais sortis de terre. Cette fois, c’est dans le centre de la France qu’il aurait recruté des acquéreurs. À l’aune des révélation­s qu’elle suscite, l’affaire des villas fantômes de Détroit est loin d’être terminée.

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(DR) Paul De Bastos, un Français d’une quarantain­e d’années, président de D Invest, société de courtage, proposait des investisse­ments immobilier­s clés en main à Détroit, dans le Michigan.
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