Dix jours en mai
L’Europe, c’est un peu comme le coronavirus. Chaque jour apporte son lot de nouvelles, bonnes ou mauvaises, et la vérité du jour n’est pas celle de la veille et du lendemain. Il y a huit jours, on disait l’Union à l’agonie. Hier, voilà qu’elle sortait de réanimation, par la grâce d’une initiative franco-allemande surprise : la proposition de créer un fonds commun de milliards d’euros, financé par un emprunt de l’Union, et destiné à secourir les régions et les secteurs les plus affectés par la crise sanitaire. « L’Europe se fera dans les crises », prophétisait Jean Monnet… Derrière les modalités complexes de l’affaire, c’est bien une révolution politique qui se dessine ici : la création d’un instrument de dette commune constituera – ou constituerait – un pas décisif vers la concrétisation du concept de souveraineté européenne. Marine
Le Pen ne s’y est pas trompée qui a aussitôt dénoncé « une fuite en avant fédéraliste ». Jean-Luc Mélenchon n’y a rien compris, qui parle «de plan de relance riquiqui » et voit la France en « porte-serviette du gouvernement allemand ». C’est tout le contraire : le projet Merkel-Macron colle au plus près des positions défendues par l’Elysée, et le bougé est venu de Berlin, où la chancelière, bravant l’aile droite de sa majorité, s’est convaincue de la nécessité de faire entorse à la sacro-sainte orthodoxie budgétaire allemande.Les européistes ont-ils sabré le champagne trop tôt ? Le couple Merkel-Macron a-t-il présumé de sa capacité d’entraînement ? Les experts n’avaient pas fini d’analyser les tenants et aboutissants de cet appel du mai que les premiers désaccords s’exprimaient. Dans une vidéoconférence de l’Ecofin, les ministres des Finances autrichien, néerlandais et danois ont fait savoir qu’ils ne marchaient pas. En gros : OK pour que l’Europe augmente le volume de ses prêts aux Etats membres ; mais pas question qu’elle emprunte sur les marchés pour financer des subventions non remboursables. La Suède semble à peu près sur la même ligne. Où l’on retrouve le vieux clivage entre fourmis du nord et cigales du sud. Doublé d’un second front : celui qui oppose, à travers tout le continent, les partisans d’une union politique renforcée aux tenants du souverainisme et autres nuances de la galaxie eurosceptique. A quoi l’on mesure les difficultés qui attendent le couple franco-allemand. Couple de raison plus que de passion, soudé par la crise, animé par la même conviction qu’aucun Etat ne pourra s’en sortir seul, et une commune conscience des périls que la montée des populismes et des nationalismes fait peser sur le continent. Reste à en convaincre les . Car l’unanimité, ici, est requise. Il y faudra beaucoup de persuasion. Et plus encore de doigté dans l’exercice du leadership, pour ne pas écorcher les amours-propres nationaux. Ainsi va l’Europe, où rien ne peut être entrepris sans l’accord préalable de la France et de l’Allemagne ; mais où rien ne peut aboutir qui ne réunisse l’assentiment de tous. Tout se jouera dans les prochains jours. Le plan de la Commission est attendu pour le mai. Et nul ne peut préjuger de la suite. A quelque chose malheur est bon, dit la sagesse populaire. Maxime idiote : le malheur n’est jamais bon. Mais ce serait un fameux paradoxe que l’Union, si fourbue et percluse de doutes, puise dans la catastrophe qui s’est abattue sur elle la force de s’arracher à la spirale du désenchantement.