Var-Matin (Grand Toulon)

Les Soprano la mafia a le blues

Source inépuisabl­e du cinéma américain, la mafia a fait sa plongée dans l’univers satirique du petit écran avec Les Soprano.

- MATHIEU FAURE

Gandolfini roi depréssif

Ce n’est pas facile de s’amouracher d’un antihéros mais c’est pourtant la prouesse réalisée par la série Soprano qui, pendant six saisons (2000-2007), nous a fait tomber amoureux de Tony Soprano. Tony n’est pas un bel homme ni un citoyen modèle, loin de là. C’est un chef mafieux du New Jersey qui vit avec les mains dans le sang comme tout « capo » qui se respecte. Il est gros, gras, laid mais on finit par en tomber amoureux. Surtout lorsque le pilote de la série donne le « la » d’entrée. En peignoir, le torse velu en évidence, Tony contemple une famille de canards patauger dans sa piscine. Ému, il en fait une crise cardiaque, lui, l’habitué des crises de panique. Moralité,

il se retrouve sur le divan d’une psychiatre pour exprimer ses peurs. David Chase, le créateur de la série, a puisé son idée au sein de sa famille. Avant d’être Chase, la famille s’appelait DeCesare et la maternelle de David était ce que l’on appelle une caricature de la « mama italienne » : dominante, castratric­e, possessive, envahissan­te. À tel point que le petit David a fini en thérapie. Du coup, il en fait une série. Au départ, l’idée est de filer le rôle principal à Robert De Niro mais le célèbre acteur du Parrain et des Affranchis ira plutôt du côté de Mafia Blues, le film. Peu importe, Chase trouvera une autre gueule parfaite en la personne de James Gandolfini, disparu en 2013 d’une crise cardiaque à l’âge de cinquante et un ans. Avant cela, il a surtout fallu réussir à vendre un projet à une chaîne capable de financer une telle folie. Sur le papier, le postulat en a effrayé plus d’un : un caïd de la mafia du New Jersey qui consulte un psy et s’enfile du Prozac car il ne supporte pas l’idée d’avoir placé sa mère envahissan­te dans une maison de retraite. HBO, qui a toujours le nez creux, a dit banco. La suite appartient à la légende. « Avec HBO, on faisait de la télé, mais on cherchait aussi à foutre un coup de pied au cul de la télé », confessera plus tard Chase. D’aucuns s’attendaien­t à une déferlante de violence et de meurtres comme dans toutes les histoires mafieuses. En fait non. Sur quatre-vingt-six épisodes, on peut même dire que la cadence n’est pas le fort de Chase. Un fan a même réussi, sur YouTube, à résumer l’action de l’intégralit­é des six saisons en sept minutes et trente-six secondes ! Chase réussit donc l’exploit de donner de la force à l’inertie via des dialogues qui frôlent la perfection et des personnage­s exceptionn­els. L’écriture était un défi mais le casting l’était encore plus. Pour que la série sorte du lot, il faut des gueules. Des vraies. Des authentiqu­es. Des salopards attachants mais aussi des femmes fortes. Chase va se servir dans les films italo-américains de l’époque comme Mickey les yeux bleus. Dès le pilote, Gandolfini incarne Tony Soprano à la perfection. Ce capo du New Jersey incapable de choisir entre toutes les femmes de sa vie : sa mère, sa femme, sa fille, sa maîtresse... et sa psy. Et dans le milieu, un chef qui consulte un médecin est un homme fragilisé qu’il faut abattre. Car Tony Soprano est tiraillé entre deux courants, être un bon père, un bon époux, un bon fils mais également un chef mafieux respecté, sans scrupule et sans pitié. L’équilibre sera le maître mot de la série. Une oeuvre très ancrée dans son époque puisqu’on y vote Bush, on y regarde Les Experts et on y découvre Al-Qaïda, pourtant, les Soprano ont pour eux une certaine forme d’universali­té. C’est une série humaine avant tout qui parle de la crise de la quarantain­e, du déclin de l’homme moderne mais aussi de la difficulté de maintenir, sans ombrage, un équilibre familial. L’héritage des Soprano ? Une place au MoMA, le musée d’art moderne de New York dans la collection permanente du musée. Ça vous classe définitive­ment une série sur l’échiquier du respect.

Soprano. 6 saisons. Disponible sur OCS.

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