Var-Matin (Grand Toulon)

« Comme aller sur la lune »

A la tête de l’équipe de France depuis 2012, le Cagnois Laurent Tillie rejoindra le Japon et Osaka en septembre... tout en conservant la tête des Bleus jusqu’aux JO de Tokyo de 2021

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU FAURE

Dans ce métier, avec le temps, les moments récurrents et sincères se font rares avec les sportifs de très haut niveau. Avec Laurent Tillie, c’est le cas. Le Cagnois, à la tête de l’équipe de France de volley depuis 2012, envisageai­t son été à Tokyo avec un rêve de médaille olympique au bout. Ensuite, il devait rester au pays du soleil levant pour prendre la tête des Panthers Panasonic d’Osaka. Et puis le Covid-19 a tout changé et repoussé les Jeux d’un an. «J’aieu peur que tout tombe à l’eau » concède cet amoureux du Baou de Saint-Jeannet et du Cros-de-Cagnes. Confiné deux mois dans sa maison cagnoise du quartier du Beal, l’ancien joueur de Cannes et de Nice a refait le monde tout en vivant « autrement ». Et le déconfinem­ent est arrivé. Autre bonne nouvelle : le coach pourra rejoindre le Japon tout en conservant les Bleus jusqu’aux JO de 2021. Pour terminer en beauté. Une médaille autour du cou.

Quels enseigneme­nts tirez-vous de ces deux mois de confinemen­t ? Je n’ai jamais autant dormi (rires). Le premier mois, il y avait un vrai abattement. Je pensais aux décès, au désastre économique, je voyais des rêves s’envoler. A notre échelle, les JO, la draft et le Final Four de mon fils Killian, mes amis restaurate­urs. J’avais le sentiment que ça n’allait jamais finir. Et puis le deuxième mois, quand tu as rangé ta maison et fait le tour, le temps devient long. Tu ne peux pas voir tes proches, je ne pouvais pas voir ma mère, ni aller au Baou, aller prendre un café en bord de mer, voir mes fils... Je ne voyais aucun espoir. Et j’avais peur qu’on nous enlève le déconfinem­ent.

Et puis finalement, le  mai... J’ai accueilli ça comme une grande bouffée d’oxygène. Et j’ai pu revoir mes fils, mes petits-enfants même si c’est très bizarre. Tu ne sais pas comment te comporter avec tes propres enfants, avec ma petite-fille de  mois. Il faut réapprendr­e à vivre.

Cette crise sanitaire a aussi eu des répercussi­ons sur votre métier de sélectionn­eur des Bleus. Je me tâtais de continuer les Bleus après les JO de Tokyo. Au départ, j’avais coché Paris  mais ça faisait loin. J’avais besoin d’une pause. Je voulais réfléchir, prendre une année sabbatique avec les Jeux quand le club de Panasonic Panthers, basé à Osaka, m’a contacté. C’est une aventure sur quatre ans avec beaucoup d’attentes et un joli travail sur les jeunes.

Vous avez hésité ? C’est un pays que je connais et plus j’y vais, plus il m’intrigue. C’est aussi une expérience de vie, c’est tout autant l’aspect global que sportif qui m’a convaincu. Et puis je suis à un âge où il ne faut pas trop hésiter (il a  ans, NDLR). Ça me rebooste dans mon mode de vie, dans ma manière de travailler. C’est un bol de fraîcheur pour moi.

Vous ne partez pas tout seul. Non, ma femme va me suivre. On avait visité le Japon pendant  jours il y a peu, elle avait été emballée. On a envie de découvrir cette zenitude, les règles, le respect, apprendre une nouvelle langue, une autre écriture, on veut se plonger dedans. Ce qui me fait le plus peur, c’est la programmat­ion car tout est prévu à la minute près chez eux et moi, je suis bordélique (rires).

C’était important de sortir de la zone de confort de l’équipe de France ?

Je me mets en danger, c’est comme ça que l’on progresse. J’aurais pu trouver un gros club européen mais c’était moins dépaysant. Là, c’est comme si j’allais sur la lune, je n’ai pas de repères. Et puis je vais être manager, donc je vais avoir en charge la gestion du recrutemen­t au-delà du coaching. Au Japon, tout fonctionne différemme­nt, les joueurs viennent directemen­t de l’université et ils sont recrutés par la compagnie. Là, c’est Panasonic qui recrute les jeunes et leur garantît un emploi au sein de la firme une fois le volley terminé.

Vous avez eu peur que la crise du Covid fasse tout tomber à l’eau ? Clairement, oui. Au début, tout devait s’enchaîner entre les JO en août et Osaka en septembre et puis tout a été remis en question. J’avais peur que les JO soient décalés de deux ans. Finalement, c’est qu’une seule année mais il fallait encore trouver un arrangemen­t entre la Fédération française de volley et Osaka. Tout est arrivé après le déconfinem­ent, je peux commencer au Japon et garder la tête des Bleus jusqu’au Jeux. Tout le monde s’est montré compréhens­if mais il fallait que le calendrier internatio­nal correspond­e et c’est le cas. Je suis soulagé.

Cela vous manquait le quotidien d’un club ? Tu peux plus facilement travailler dans la constructi­on au sein d’un club, ce qui n’est pas le cas en équipe de France. En club, tu as du temps pour mettre en place tes idées, c’est comme faire du trapèze avec un filet. Avec la France, dans n’importe quelle compétitio­n internatio­nale, tu n’as pas de filet...

A quoi vont ressembler vos prochains mois dorénavant ? J’étais censé débuter le er septembre au Japon, je vais peutêtre arriver plus tôt. Pour le logement, il ne faut pas se tromper sinon ma femme va me pendre (rires). Dans un premier temps, j’ai demandé à loger près de la salle d’entraîneme­nt car je vais y passer du temps. On compte se déplacer en vélo, bus et taxis. J’ai besoin de maîtriser mon temps, quand on aura pris le pouls de la ville, on regardera pour un autre logement.

Quel est le niveau du championna­t japonais ?

Le Japon a toujours été une nation très technique. Ce sont eux qui ont introduit, dans les années -, en même temps que leur titre olympique, la technique dans le volley : la manchette, la défense basse, la courte avant, l’attaque en décalée sans oublier les ballons flottants Molten. Ce sont des joueurs techniques mais ils manquent de taille, de hauteur et donc de puissance. Et en volley moderne, la puissance l’emporte toujours. C’est un championna­t où vous n’avez le droit qu’à deux étrangers dont l’un des deux doit forcément être asiatique, chinois, coréen, etc. En général, l’étranger est un pointu car c’est le poste prioritair­e en attaque. Aux Panthers, c’est le Polonais Michal Kubiak qui aura ce rôle, c’est une référence internatio­nale et il va apporter sa grinta et son agressivit­é. Les joueurs japonais sont très respectueu­x de la hiérarchie au sein d’une équipe, il faut réussir à leur faire prendre conscience qu’elle peut évoluer. Le championna­t est très ouvert, avec un palmarès qui change tous les ans. On joue deux matches par week-end dans un championna­t très long avec des supporters de chaque équipe qui encouragen­t à tour de rôle, c’est très particulie­r.

Je me mets en danger, c’est comme ça que l’on progresse”

Après huit ans à la tête des Bleus, vous allez passer le flambeau après les JO de , comment le vivez-vous ? C’est un crève-coeur. Je repense à tout ce que m’a apporté ce groupe, ces joueurs, cette équipe. C’est presque un roman qu’il faudrait écrire... et ce n’est pas fini puisque l’idée est de partir sur une médaille aux Jeux. Il y a de la nostalgie de se dire que c’est la dernière ligne droite mais c’est la vie d’un sportif. J’ai déjà connu ça quand j’ai pris ma retraite de joueur. On vit dans des cycles entre la lumière et l’oubli. En ce moment, je regarde la série The last danse sur Michael Jordan, j’ai l’impression de voir l’équipe de France. Une unité d’équipe avec des joueurs complèteme­nt différents.

Quitter les Bleus ? Un crève-coeur”

Allez-vous participer à la désignatio­n de votre successeur à la tête des Bleus ? Eric Tanguy m’a demandé de participer mais j’ai peur de ne pas être la bonne personne. Ni d’être le plus juste. Le poste est en or, il y aura du monde ().

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France