Le lac de Sainte-Croix espère encore sauver sa saison
Les gorges du Verdon et leur grand lac artificiel attirent chaque année près d’un million de visiteurs. Les professionnels du tourisme attendent de savoir s’ils pourront travailler cet été
Quatrième retenue d’eau artificielle de France depuis sa mise en service, en 1974, le lac de Sainte-Croix, aux confins du Var et des Alpes-deHaute-Provence, étale ses 22 km2 entre les deux départements, marquant la limite entre hautes et basses gorges du Verdon. Eaux d’azur, virant au turquoise sous le soleil d’été, entièrement ceintes de collines boisées, contre lesquelles se nichent des plages naturelles, la beauté des lieux a immédiatement convaincu des visiteurs du monde entier. Simples passants d’un jour, échappés de la côte presque voisine, ou résidents pour quelques jours dans les nombreux campings, gîtes et hôtels installés aux alentours, on compte jusqu’à un million de touristes dans les hautes gorges et sur le lac durant la saison estivale. Une affluence qui se traduit économiquement dès les beaux jours, certains établissements saisonniers ouvrant habituellement leurs services dès la fin du printemps. Évidemment, rien de tout cela cette année. Les préparatifs et ouvertures avancées ont été repoussés par le confinement. Les professionnels de l’accueil touristique sont plongés dans l’inquiétude, dans l’attente des annonces qui leur permettront peut-être de sauver leur saison et, pour beaucoup, leur entreprise.
Quelques réservations pour le mois d’août
Charles-Antoine Mordelet, par ailleurs maire d’Aiguines, gère un camping familial, à 500 mètres des rives varoises du lac. Comme tous les professionnels, il attend de connaître les conditions d’une éventuelle reprise. « On ne sait rien, on attend que ça bouge… On regarde le calendrier et la date du 2 juin, à laquelle des annonces devraient venir préciser les choses. » Depuis quelques jours, les clients éventuels ont commencé à manifester leur intérêt et à tenter de réserver. « On nous demande des renseignements sur les conditions de séjour, mais il est difficile de répondre avec certitude actuellement. Déjà, la limite des 100 kilomètres, si elle n’est pas assouplie, empêchera la plupart des clients habituels d’arriver jusqu’à nous. On est loin de tout ici. Ce n’est pas comme sur la côte, près des villes, où une clientèle locale peut se rendre facilement. » Le camping a commencé à valider quelques réservations pour le mois d’août : « Nous serons évidemment amenés à tout annuler si les conditions d’une réouverture correcte ne sont pas réunies. Déjà, depuis quelques années, on relevait une baisse de fréquentation durant la première quinzaine de juillet… »
Le casse-tête des parties communes
Pour Charles-Antoine Mordelet et tous les gérants de campings, la principale inconnue, ce sont les mesures de distanciation qu’il leur faudra mettre en place. « En mobile-home, ce sera facile. On parviendra aussi à un résultat avec les emplacements de tentes, car la tendance était déjà, depuis quelques années, à une certaine intimité : les surfaces sont assez larges et quelques-unes sont même séparées par des haies. » En revanche, le professionnel ne voit pas comment il pourra s’organiser pour éviter les contacts rapprochés dans les zones communes. « On ne peut pas condamner ou restreindre l’accès aux sanitaires – douches et toilettes – et encore moins limiter l’accès à la piscine à une ou deux personnes… Certes, on peut se baigner dans le lac tout proche, mais la piscine est très appréciée des familles qui ont de jeunes enfants. Il fait très chaud l’été… Il sera difficile de faire admettre aux gens de ne pas se baigner. » Économiquement, la facture est déjà lourde : « Nous avons dû placer les employés en chômage partiel pour les mois d’avril et mai. Il faut tout de même payer une partie des salaires, tout en n’ayant aucune recette… »
Les restaurateurs s’impatientent
Plus au sud, à Bauduen, les gérants et propriétaires des restaurants du port de plaisance du Haut Var trépignent. Jean-Charles Olivieri, gérant du restaurant Le Boucho», l’une des grandes brasseries dont la terrasse est installée sur la rue principale, attend le feu vert, qui devrait être confirmé le 2 juin. « Normalement, nous ouvrons entre le 1er avril et la fin du mois d’octobre. » L’établissement, recettes à réaliser. Un tel volume devrait être, cette année, impossible à atteindre : « S’il faut diviser le nombre de places assises par deux pour respecter des distances de sécurité, on ne pourra probablement pas s’en sortir financièrement. » « Mon expert-comptable m’a conseillé d’ouvrir le restaurant dès que possible, avec un personnel réduit à cinq personnes. Durant la première semaine, il faudra voir dans quelle mesure on peut parvenir à être rentables quand même. Si on se rend compte qu’on n’y parvient pas, on referme tout. C’est malheureux, mais il est évidemment impossible de travailler à perte… » L’espoir de Jean-Charles Olivieri, c’est la réalisation de la promesse d’exonération des charges formulée par le ministère de l’Économie, le 24 avril dernier, devant les représentants des professions de la restauration et de l’hôtellerie. « Je suis parvenu à obtenir un prêt bancaire garanti par l’État. Si les charges sont exonérées, je sauverai l’activité. »
Accès au lac : « À l’État d’assurer l’ordre ! »
Autre inconnue : le droit d’accès à l’eau du lac et la surveillance du respect des règles sanitaires. Tandis que la très grande majorité des communes de la côte ont demandé au préfet d’autoriser le retour des baigneurs, sur la partie varoise du lac de Sainte-Croix, seule Bauduen (322 habitants) a manifesté cette volonté. Émile Calchiti, maire réélu au premier tour en mars dernier, a accédé aux requêtes insistantes des professionnels : « La lettre est partie il y a huit jours… Nous n’avons reçu aucune réponse pour le moment », assure l’élu. Cela peut paraître surprenant, mais les maires des petits villages des Salles-sur-Verdon (249 habitants) et Aiguines (278), n’ont pas sollicité le représentant de l’État. « Pour une raison simple, justifie Charles-Antoine Mordelet, maire d’Aiguines. Si le préfet autorise l’accès, ce sera aux communes de faire respecter les directives de distanciation. » Mission impossible, selon lui : Aiguines, qui ne compte qu’un agent de police municipale, n’est pas en mesure de surveiller les cinq kilomètres de littoral de son territoire, dont la zone ultrafréquentée du pont du Galetas, qui marque la fin des hautes gorges. « C’est à l’État d’assumer, même si je sais bien que les gendarmes de la communauté de brigades d’Aups-Salernes ne peuvent pas passer tout leur temps ici… »
Un restaurateur de Bauduen