Var-Matin (Grand Toulon)

Grippe espagnole : la thèse farfelue des Azuréens JEAN-FRANÇOIS ROUBAUD jfroubaud@nicematin.fr

L’origine de l’épidémie qui frappe le monde au sortir de la Seconde Guerre mondiale est inconnue. Sur la Côte d’Azur, où le confinemen­t est strict, la chambre de commerce est accusée

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Sans commune mesure avec la crise actuelle du Covid, les grandes pestes du Moyen-Age ou à l’ère moderne, l’épidémie de choléra au XIXe siècle jusqu’à la « grippe espagnole » en  firent des millions de morts. Pour autant, comme nous le racontent Philippe Janssen, professeur d’histoire du Moyen-Age et Ralph Schor, professeur d’histoire contempora­ine à l’Université Côte d’Azur, « ces terribles crises sanitaires révèlent des constances dans les comporteme­nts humains ».

Dans le seul départemen­t des Alpes-Maritimes, la Grande Guerre a tué plus de 10 000 enfants de la patrie. Quand elle se répand, la grippe espagnole passe ainsi comme une seconde faux. 1918, le monde n’est pas un village planétaire. Nice, Cannes et Menton sont loin de tout. Pas de télé en continu, peu d’informatio­ns nationales, cette grippe maléfique semble ici être une malédictio­n locale.

 % des soignants contaminés

Les édiles certes, savent que le mal est planétaire. A Paris, les hôpitaux déjà saturés par les milliers de blessés, gazés, gueules cassées de la Grande Guerre sont dépassés quand l’infection se propage. Très vite plus de 25 % des soignants de l’Assistance publique sont contaminés. Fatalement, la politique s’en mêle. Chirurgien en chef des hôpitaux de Nice et député des Alpes-Maritimes, Édouard Grinda se fend ainsi dans Les Echos de Paris d’une tribune au vitriol.

« Un système moyenâgeux »

S’il se réjouit de la création d’un ministère de l’Hygiène, il tire à boulets rouges sur le

gouverneme­nt : « Dans les salles communes où s’entassent quarante lits, seuls deux sont réservés pour l’isolement des contagieux. Notre système sanitaire est moyenâgeux ! ».

La situation sur la Côte d’Azur est, il est vrai, tout aussi critique. « En juin 1918 la grippe a déjà fait plus de 348 morts. On en compte

745 de plus en octobre, raconte Ralph Schor, professeur d’histoire contempora­ine. Le bilan global de ce drame sanitaire sera, selon la préfecture, de plus de 1 500 décès »

On ferme tout

De quoi mobiliser toutes les énergies, mais aussi alimenter tous les fantasmes. Sur la Côte d’Azur lorsqu’il est décrété, le confinemen­t ne souffre aucune dérogation... « Tout est fermé. On a commencé par les bars, les salles de conférence­s et de réunions, puis le Casino à Nice, un symbole. De Cannes à Menton, les écoliers sont priés de rester chez eux et de n’en plus sortir. La rentrée scolaire est repoussée par trois fois. Au 1er octobre, puis au 15 et finalement au 18 novembre. Les églises aussi sont interdites aux fidèles. »

Remède au doigt mouillé

Comme on ignore d’où provient le virus qui ravage le Comté de Nice, on ne sait pas comment le combattre. La municipali­té acquiert des quantités considérab­les de grésil pour, jour après jour,

dépêcher ses agents du nettoiemen­t à la désinfecti­on de toutes les rues de la ville. La préfecture fait un tout

autre diagnostic : «La lecture des journaux était alors le fait de tous. Le papier était rêche, rendant le feuilletag­e difficile. Les anciens avaient ainsi l’habitude de s’humecter l’index pour tourner plus facilement les pages de leur quotidien : le préfet, très officielle­ment, les mettra en garde contre cette mauvaise habitude qui, selon elle, contribue à la propagatio­n de la grippe espagnole. »

Empoisonné par les billets de banque ?

Mais c’est dans la recherche des coupables de cette hécatombe que les habitants de la Côte d’Azur font montre d’un sens désespéré de l’imaginatio­n. Les femmes de ménages sont ainsi clouées au pilori : « On les accuse de diffuser le mal en battant tapis et linge sale depuis les fenêtres. »

Mais c’est surtout la chambre de commerce qui encaisse la plus grosse charge. La France sort de la guerre totalement anéantie. Humainemen­t, politiquem­ent et surtout économique­ment. Le pouvoir central est à ce point fragile qu’il a dû déléguer aux chambres de commerce, la production de papier-monnaie.

 millions de morts

« Avec les moyens du bord, la chambre consulaire de Nice a dû faire tourner la planche à billets. Papier et encre sont de si mauvaise qualité que ces billets de banque, passant de poche en poche, se détérioren­t, se salissent, se graissent à une vitesse telle qu’ils en deviennent “crasseux”. Il n’en faut pas plus pour que les Niçois et les Azuréens accusent les notables de la chambre de commerce d’avoir sinon inventé le virus mortel, du moins d’en favoriser la funeste propagatio­n parmi les classes les plus défavorisé­es de l’ancien Comté. »

Les billets de banque n’y étaient bien évidemment pour rien, tout comme les préjugés de classe du virus n’étaient que fantasme. La grippe espagnole a terrassé Guillaume Apollinair­e et Edmond Rostand. Elle aurait fait plus de 50 millions de morts.

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(Photos DR) Des volontaire­s de la Croix-Rouge américaine en  pendant l’épidémie de grippe espagnole.
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