L’histoire de Tombé pour la France
La chanson Tombé pour la France est le premier single du chanteur à se classer au Top 50, en 1985, c’est aussi l’un des morceaux qui va lancer la « Dahomania » de ces années-là
En 1985, Étienne Daho a 30 ans. Il a déjà sorti deux albums, un premier qui n’a pas franchement marché auprès du public malgré un bel accueil de la presse spécialisée, Mythomane , et un second, La Notte, la notte, porté par le tube electro pop Week-end à Rome qui va lancer la carrière du jeune homme et lui offrir son premier Olympia, le 18 mars 1985. C’est sur cette jolie lancée, durant cette tournée, que celui qui a commencé sur des scènes rennaises va s’installer comme une valeur sûre de cette nouvelle pop française. Et c’est avec un tout nouveau morceau – qu’il va dévoiler en live parmi les titres de ses deux albums existants –, que va se concrétiser la « Dahomania » des années 1980. Ce morceau, c’est Tombé pour la France. Après le succès de La Notte, la notte, le label Virgin demande un nouveau single au chanteur. Avec ses copains Arnold Turboust et Frank Darcel, qui ont oeuvré sur l’album précédent, Étienne Daho va imaginer et enregistrer le titre juste avant la tournée. Une partie à Paris, une autre dans un studio bruxellois équipé des meilleures technologies (1).
La mélancolie et la fête, le pointu et le populaire
La chanson va d’abord sortir à part, sur un mini-album éponyme (puis sera reprise sur le troisième disque du chanteur, Pop Satori en 1986). Elle sort le 29 avril 1985 (2). Énorme carton et premier single de l’artiste à entrer au Top 50. « Étienne appelait et, de jour en jour, on lui disait on a vendu un petit peu de disques... Et puis quand on est rentré d’Ibiza, je crois que c’est une des premières chansons que j’ai entendue à la radio, et je me suis dit, c’est pas possible ! C’est vraiment à partir de ce moment-là qu’Étienne est devenu une star, en fait. Il y avait plein de télés, de trucs... », racontera Arnold Turboust (3). Avec sa mélodie légère et ses paroles en apparence faciles, Tombé pour la France est le tube de l’été. Et aurait pu faire basculer le chanteur dans le panier des stars oubliées des années 1980. Mais le morceau contient tout ce qui va installer Daho comme une référence. Et inspirer toujours autant de jeunes artistes des années 2020. Le mélange des genres. La multiplicité des influences. La mélancolie et la fête. Le pointu et le populaire. « Si on l’observe avec un peu de recul, cette chanson clé apparaît comme l’examen de passage d’un Daho entre deux rives, commente le journaliste Christophe Conte, dans la biographie qu’il a consacrée à l’artiste. C’est la première chanson d’un provincial à Paris (...). » Côté
(4) musique, le swing de la pop britannique, les synthés de la new wave, la rythmique typique des années 1980 pour faire danser – un remix sera aussi réalisé pour les boîtes de nuit –, la mélodie triste d’une ballade. En fin de refrain, l’air de rien, Daho fait se juxtaposer le son métallique du Fairlight, un clavier omniprésent dans la pop de ces années-là et celui de l’harmonica, accessoire fétiche des folk singers.
« Clippé » par Jeunet
Même chose dans les paroles. Un peu d’onomatopées héritées des sixties pour le côté sautillant, un titre provocateur, un fond d’ivresse et de chagrin d’amour pour la jeunesse, des références plus savantes (le « jerk électronique », c’est aussi Les Jerks électroniques de la Messe pour le temps présent et musiques concrètes pour Maurice Béjart, titre du disque tiré du travail des compositeurs Pierre Henry et Michel Colombier pour le célèbre chorégraphe en 1967). Le clip du morceau, signé par un certain Jean-Pierre Jeunet, mérite aussi le coup d’oeil. Le dandy pop danse devant un improbable fond composé d’une tour Eiffel et d’un avion au panache de fumée bleu blanc rouge… Et un jeu d’animation sur un photomaton (« ce photomaton que t’aimais pas… ») devrait rappeler quelque chose aux amateurs du futur succès de Jeunet, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain…
1. 4. Daho, Christophe Conte (Flammarion, 2017). 2. dahofficial.com. 3. Daho, fan de pop, Jean-Luc Lehmann et Matthieu Ramsauer (Radio télévision suisse, RTS, 2018), à réécouter sur le site de Radio France.