Var-Matin (Grand Toulon)

Alcool, tabac et autres drogues : un site web pour ne pas plonger

Savoir où on est, vers quoi on va et comment revenir… Lionel Barra, consultant en addictolog­ie, qui a longtemps travaillé dans la région, lance un site national de conseil et de suivi en ligne

- GUILLAUME JAMET gjamet@varmatin.com

C’est une histoire banale. Celle d’un tout jeune ado, forcément un peu timide, qui pense trouver de l’assurance dans l’alcool. Quelques bières. Quelques « jaunes » festifs avec les plus grands… L’habitude arrive, l’envie s’installe et, finalement, le besoin s’impose. Verre après verre, bouteille après bouteille, l’ado perd le contrôle de sa consommati­on et de sa vie. Ce n’est que quinze ans plus tard, à l’aube de ses 30 ans, qu’il parviendra enfin à refaire surface, à « revivre », après avoir frôlé le point de non-retour. Autant d’années perdues, pour lui et ses proches. Cette histoire banale, c’est celle du Barjolais Lionel Barra, qui a raconté ses années d’errance au pays de l’alcool et son difficile voyage retour dans « Tournée d’enfer » (1). Un témoignage terrible, mais aussi et surtout la preuve qu’on peut s’en sortir, vaincre l’addiction, à condition d’être guidé, accompagné, soutenu (2).

« Je connais la route »

Guéri, Lionel a trouvé une vocation : « Je suis devenu ce qui m’a manqué. » De 2007 à 2017, il a oeuvré au sein de l’associatio­n « Alcool assistance », basée à Barjols. Là, au sein d’un réseau qui s’étendait dans tout le Sud, il a été un guide pour tous ceux qui, comme lui, ont risqué leur vie en s’enfonçant dans l’addiction. « Je sais où le voyage les emmène, je connais les routes pour en revenir et les pièges qui les attendent. » Parallèlem­ent, Lionel Barra met à profit son expérience bénévole et se lance, dès 2008, dans le conseil aux entreprise­s (3). Le besoin est évident : « En cas d’accident ou de mise en danger de la vie d’autrui, la responsabi­lité de l’entreprise sera systématiq­uement engagée si l’employé est testé positif, à l’alcool ou autre substance. Les employeurs ont l’obligation de mettre en place une prévention, mais les méthodes n’étaient pas efficaces. Il faut aller au contact, discuter, accompagne­r individuel­lement si c’est nécessaire. » Des administra­tions publiques et des entreprise­s d’envergure, parmi lesquelles Véolia, Amazon ou L’Occitane, renouvelle­nt régulièrem­ent leur confiance au Barjolais. Certains salariés ont librement choisi de bénéficier d’un suivi en dehors du cadre profession­nel.

Donner une informatio­n complète

Reconnu dans la communauté nationale de l’addictolog­ie, qui l’invite régulièrem­ent à prendre la parole en tant qu’expert, Lionel Barra est sûr de son fait : sa mission est celle d’un messager, « je dois être une interface entre le monde scientifiq­ue et les malades. » L’enjeu, c’est toujours l’informatio­n : « Neuf personnes sur dix assurent être consciente­s des risques d’une consommati­on de drogue. En réalité, quand on leur soumet un questionna­ire précis, seule une personne sur dix est capable d’y répondre correcteme­nt. »

« Pas question de juger ou faire la morale »

On pourrait trouver ça surprenant : ancien alcoolique, Lionel Barra n’a aucune animosité particuliè­re contre les drogues, pas même l’alcool. Lui n’en consomme plus, mais il estime que la solution ne se trouve dans la répression ou le soin forcé. « L’alcool, le tabac… Qu’on le veuille ou non, cela fait partie de notre culture. D’autres substances, certaines illégales, apportent du plaisir à ceux qui les consomment. Mon rôle, c’est de les aider, pas de les juger ou leur faire la morale. » Selon lui, quelqu’un qui consomme une substance doit rester libre de ses choix, à condition qu’ils soient éclairés. « Je ne suis pas là pour dire ce qui est bien ou pas, mais pour donner une informatio­n claire. Pour que chacun sache à quoi il s’expose quand il boit, fume, prend des médicament­s, etc. À lui, ensuite, de faire ses choix, en ayant conscience de ce qu’il risque. »

Orienter vers le bon intervenan­t

De la consommati­on dite « festive » jusqu’à la maladie, parfois mortelle, l’addiction naît et grandit sous de nombreuses formes, qu’il est possible de prendre en charge à chacun des stades de gravité. « Beaucoup estiment encore aujourd’hui que tant qu’on ne souffre pas physiqueme­nt, il n’est pas nécessaire de trouver de l’aide… C’est comme ça que certains entament une démarche de soin alors qu’ils ont déjà développé une cirrhose, que leur vie est en danger. » En réalité, « la prise en charge peut intervenir très tôt, par l’informatio­n, l’accompagne­ment familial, social, psychologi­que… Tout ça avant que des symptômes physiques apparaisse­nt. »

Toucher tout le monde grâce au web

Selon le même principe qui l’a conduit à se rendre dans les entreprise­s pour aller au-devant des éventuels malades, Lionel Barra a développé l’idée d’apporter partout une informatio­n claire sur l’addiction en utilisant internet. Là encore, il fait figure de précurseur. « Il existe, partout en France, des structures qui prennent en charge, qui soignent, qui accompagne­nt, mais il n’existe pas d’outil pour mettre tous ces gens en relation avec les personnes qui ont besoin de leurs services. L’idée de le créer m’est venue il y a quelques mois, mais je n’avais pas trouvé le temps de la mettre en forme. Le confinemen­t m’a permis de m’y coller. » Chez lui, pendant deux mois, Lionel Barra a peaufiné son idée, tourné des vidéos, préparé un système de discussion en ligne…

Objectif atteint, « même s’il faudra améliorer certains trucs, qu’on développer­a avec l’usage. J’ai missionné trois jeunes adultes afin qu’ils décortique­nt mes vidéos, mes messages, et qu’ils me disent comment les adapter au mieux à un public adolescent. »

Trouver une aide locale partout en France

L’offre est aujourd’hui disponible et propose une approche inédite

(4) dans le domaine de l’addictolog­ie : quel que soit le lieu dans lequel on se trouve, on peut, même avec un smartphone, accéder, de manière sécurisée et anonyme, à une formation complète, à un espace d’échange avec Lionel Barra et, si on en exprime le besoin, être mis en relation directe avec des spécialist­es locaux. Les premiers retours semblent prometteur­s. « Un exemple ? La mère d’un jeune adulte est parvenue à le motiver à entamer un parcours pour sortir de l’alcool… Je suis vraiment content de pouvoir faire bénéficier de mon expertise de terrain et du monde profession­nel à des particulie­rs qui n’auraient pas pu la trouver sans ce nouvel outil. C’était le but. » 1. Coécrit avec Vincent Di Serio, éditions « Au Pays Rêvé », octobre 2017. 2. Lire également notre édition du 5 décembre 2017. 3. www.paratconse­ils.com et FB : « PARAT Conseils » 4.https://www.felixsante.com/praticien/interventi­onsen-addictolog­ie/la-verdiere/lionel-barra

‘‘ Chacun doit choisir ou non de consommer en connaissan­t les vrais risques.”

Newspapers in French

Newspapers from France