Le rappel à l’ordre
Les services de renseignement avaient prévenu : la sortie du confinement ne serait pas un fleuve tranquille. Antifas, anars, blacks blocs, identitaires et autres nationalistes-révolutionnaires préparaient à leur manière le retour à la « normale ». Tout ce que la France compte de mouvances radicales – ultra-gauche, ultra-droite ou ultra-jaunes, voire certaines franges du mouvement syndical –, si disparates et opposées soient-elles, toutes avaient au moins un objectif immédiat en commun : tirer parti des circonstances et des ressentiments accumulés pendant la crise sanitaire pour relancer et radicaliser la contestation. Faire des jours d’après des jours de colère. Nous y sommes. C‘est maintenant. Pas l’embrasement général. Mais une inquiétante multiplication de foyers, alors que les forces de l’ordre, usées, épuisées par des mois et des années de face à face avec une protestation multiforme grondent contre un ministre en qui ils ont perdu confiance – et que la rumeur donne partant au remaniement qui devrait suivre le second tour des municipales. Hallucinantes scènes de guerre des gangs à Dijon, où la police a dû se contenter d’encercler les protagonistes à distance, ne voulant pas risquer un clash sanglant avec des groupes imposants et lourdement armés. Rixes en série et fusillade à Nice, dans le quartier des Liserons, sur fond de trafic de drogue. Et hier, à Paris, en marge de la manifestation pacifique des soignants (« manifestation saccagée, squattée » par les casseurs, certains avec le tee-shirt Adama Traoré, dira l’urgentiste Patrick Pelloux), ces images de bandes agressant et caillassant les forces de l’ordre, au milieu d’une nuée de pseudo-reporters à smartphone – comme un brûlant rappel des journées de décembre . Au même moment, à l’Assemblée nationale, Christophe Castaner tentait laborieusement de retisser le lien avec ses troupes et se défendait de les avoir jamais « lâchées ». Qu’il y soit contraint, et doive encore et encore se dire «fier» d’elles, cela dit assez le trouble qu’ont installé dans la police, et au-delà, ses cafouillages et ses changements de pied dans la gestion de l’étrange séquence qui vit un petit groupe d’activistes, autour de la famille Traoré, profiter de la vague BlackLivesMatter pour confisquer le mouvement antiraciste et imposer son agenda. Et les autorités françaises s’empêtrer dans les injonctions contradictoires – la pression de la jeunesse des cités d’un côté, le besoin de réassurance des policiers de l’autre – pour, finalement, perdre sur les deux tableaux. Pas en même temps : en deux temps. C’est à ce tango boiteux qu’Emmanuel Macron a voulu mettre un terme dimanche par une sentence en forme de rappel à l’ordre : « Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité ni liberté. » « Ordre » : le mot ne fait pas tellement partie du lexique macronien. Il sonne plutôt LR ou RN. A la rigueur, Ségolène Royal. Un tournant ? A confirmer. En tout cas, la prise de conscience d’une urgence. Reste à la traduire dans les faits. Sinon, le mot pourrait revenir en boomerang. Et c’est la société, alors, qui pourrait se charger de rappeler le pouvoir à l’ordre.
« “Ordre” : le mot ne fait pas tellement partie du lexique macronien. »