Var-Matin (Grand Toulon)

Ph. de Villiers : « La France a délocalisé son industrie »

Pourfend, dans son dernier livre, le progressis­me européen d’Emmanuel Macron. Pour lui, le souveraini­sme ne peut avoir d’autre espace que celui de la nation

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ne souveraine­té sans peuple, c’est comme l’amour à distance, de la branlette. » D’une plume tout à la fois soutenue et dévergondé­e, aussi expressive en tout cas que le sont ses saillies verbales, Philippe de Villiers rebondit sur la crise du coronaviru­s pour régler son sort au progressis­me dans Les Gaulois réfractair­es demandent des comptes au Nouveau Monde (1). En août 2016, faisant fi de tous les qu’en-dira-t-on, Emmanuel Macron, pas encore candidat, s’était rendu en Vendée pour rencontrer l’ancien secrétaire d’Etat à la Culture (1986-87) et fondateur du Mouvement pour la France. Celui qui fut au début des années quatre-vingt-dix, avec Charles Pasqua, le pourfendeu­r du traité de Maastricht et le héraut du souveraini­sme, regrette que le nouveau Président ait délaissé cette voie pour s’engager sur celle d’un progressis­me mondialisé qui, à ses yeux, repose sur du sable.

Vous qualifiez vos échanges avec Emmanuel Macron en  de « vifs et amicaux ». Mais sa politique vous a déçu… Quand il est venu au Puy du fou, il m’a dit venir chercher « l’écho de la France intime ». Nous avons abordé deux questions clés : l’autorité régalienne et la mondialisa­tion. Quand il est reparti, j’avais l’impression qu’il avait compris que la France ne pourrait survivre qu’en adaptant la mondialisa­tion à elle-même, et non l’inverse... Hélas, la suite a dissipé mes illusions. Emmanuel Macron a été repris par le « Nouveau Monde », la promesse d’un village global unifié, débarrassé des frontières, des souveraine­tés et des nations, au profit d’un marché planétaire de masse qui devait devenir le régulateur des tensions de la planète et des pulsions humaines. Par impréparat­ion de l’épidémie, cela nous a conduits à la crise du coronaviru­s.

Vous dites, en gros, qu’il est libre d’apprécier Daniel Cohn-Bendit et vous, mais que la synthèse du « en même temps » est totalement intenable… Oui, mais le « en même temps », on continue pourtant à le vivre. Dimanche soir, dans son discours, Emmanuel Macron a fait un retour au bercail du souveraini­sme. Les mots « indépendan­ce », « relocalisa­tion », « souveraine­té » ont été prononcés à foison. En fait, il y a l’Emmanuel des champs et le Macron des villes, on ne sait jamais vraiment qui parle et qui agit. « Frontières, souveraine­té, local et famille » : c’est, à vos yeux, le carré magique de la survie : Emmanuel Macron était assez proche de cela dans son allocution dominicale. Mais il a aussi parlé d’une souveraine­té européenne, qui, pour vous, ne tient pas… Exactement. On est souverain ou on ne l’est pas. La souveraine­té, qui est la compétence de la compétence, ne se partage pas. Une femme n’est jamais à moitié enceinte. Un pays ne peut être à moitié souverain. La souveraine­té européenne ne peut exister, puisqu’il n’y a ni démocratie européenne ni peuple européen à proprement parler. L’idée d’une souveraine­té européenne, c’est d’être de plus en plus dépendant de la Commission de Bruxelles qui, pendant le confinemen­t, négociait des accords avec le Mexique, le Vietnam, et prépare un nouveau pacte migratoire. La souveraine­té nationale est tout l’inverse : elle consiste à rétablir nos contrôles aux frontières, à relocalise­r notre industrie pharmaceut­ique et à forger, à nouveau, les instrument­s de notre autonomie stratégiqu­e. Le drame de la France depuis Maastricht est d’avoir bradé son industrie, d’avoir accepté que la logique des intérêts privés conduise un capitalism­e débridé et déshumanis­é à choisir la délocalisa­tion du travail à moindre coût au bout du monde.

Vous invitez à réaffirmer le primat du politique sur l’économique. Comment, très concrèteme­nt ? Prenons l’exemple de l’agricultur­e. Si on laisse faire la logique des intérêts, on retrouvera dans nos assiettes le poulet au chlore d’Argentine, la lotte polyphosph­atée de Chine, il faudra accepter une agricultur­e agrochimiq­ue qui empoisonne les sols, les animaux et les hommes. Le souveraini­sme consiste à dire que nous voulons une agricultur­e paysanne, fondée sur les circuits courts et la qualité sanitaire de nos produits. C’est un exemple parmi tant d’autres. Le général de Gaulle avait une expression qui traduit bien cela : il voulait que l’autorité régalienne protège « les intérêts vitaux ». Une nation a des intérêts vitaux qui passent avant la logique du profit et avant le marché planétaire de masse.

En cherchant des esclaves au bout du monde, nous avons fabriqué nos nouveaux maîtres, écrivez-vous. La situation est-elle encore réversible ? La France a délocalisé son industrie, qui ne représente plus que  % de son PIB, contre  % en Allemagne. Le principe actif du paracétamo­l est ainsi fabriqué en Inde, puis il part en Chine pour l’emballage, en Pologne pour le conditionn­ement, avant d’arriver sur le marché français. Cette interconne­xion est une dépendance qu’on retrouve pour les tests, les masques, pour ne parler que du sanitaire. Dans le domaine militaire, les pièces de rechange du char Leclerc viennent de Chine. Un pays qui s’abandonne à la logique des intérêts privés perd son indépendan­ce et ne peut plus satisfaire aux conditions de sa survie. C’est à cause de cela que nous avons subi un confinemen­t généralisé et non ciblé : si nous avions eu des masques, des tests et des appareils respiratoi­res, en d’autres termes si l’exécutif avait été prévoyant, il n’aurait pas dispersé les réserves sanitaires stratégiqu­es. Mais dans la mondialisa­tion sauvage, le mot stock est un gros mot. Tout est à flux tendu. La religion des flux est le nouvel oecuménism­e des imbéciles.

L’idée d’un monde sans barrières est une aberration mentale, dites-vous. Jusqu’à quel point voulez-vous en remettre ? Les choses sont simples. Quand on ne veut pas contrôler les frontières nationales, on finit par imposer des frontières domestique­s, comme cela s’est produit avec le confinemen­t. Quand on récuse comme Emmanuel Macron l’idée de frontière, on finit par l’installer partout. Au nom de l’espace sans frontières, on a fait la frontière pour tous et enfermé les gens chez eux. Les pays qui ont mieux réussi que nous ont joué sur trois claviers : les frontières, les tests et les masques. Ceux qui ont échoué sont ceux qui ont fermé leurs frontières trop tard et n’avaient ni tests ni masques.

Une nation a des intérêts vitaux qui passent avant la logique du profit”

1. Fayard, 156 pages, 15 euros.

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