Var-Matin (Grand Toulon)

J’ai épousé l’héroïne de mes nouvelles”

- N. BRUN

Ils ont lancé le mode « estivant » qui a révolution­né le calendrier de la jet-set sur la côte (où les chics « hivernants » du début du XXe, fuyaient les stations balnéaires avant le début des grandes chaleurs). Et ils ont réinventé un certain art de vivre, hédoniste et barré, sur la French Riviera, ruinée après la guerre. Comme beaucoup de leurs compatriot­es expatriés dans les années vingt, Francis Scott Key et Zelda Fitzgerald, couple le plus mythique de la littératur­e américaine, aimaient la France où la vie était plus intense et moins chère. Ils ont vécu quatre ans entre Paris et la Côte d’Azur, avec leur petite fille baptisée Frances (et surnommée Scottie). Une parenthèse enchantée et décisive, sur la déchirante trajectoir­e de ces deux étoiles filantes dont la presse a fait le symbole de la « génération perdue » de l’après-guerre de 1914-1918. Elle se refermera en 1926, quand Zelda commencera à entendre des voix…

La fille la plus convoitée d’Alabama et le dandy de Princeton, précoce chef de file de la littératur­e US – qui totalisent moins de cinquante ans à eux deux lorsqu’ils débarquent dans le sud de la France – fascinent leurs contempora­ins. « J’ai épousé l’héroïne de mes nouvelles », dit Scott. L’explosive et extravagan­te Zelda Sayre. Elle veut être ballerine. Elle écrit bien – et beaucoup plus vite que son mari qui bride sa créativité – et elle peint. Leurs faits et gestes sont scrutés par les paparazzis de l’époque. Les Fitzgerald vont laisser une trace indélébile entre Hyères et le cap d’Antibes. C’est à l’Hôtel Grimm – l’actuel Park-Hôtel dans la Cité des palmiers, que Francis Scott corrige le manuscrit de Gatsby le magnifique, paru en 1925.

Et la villa Saint-Louis – l’actuel hôtel Belles Rives à Juan-les-Pins – est la matrice de Tendre est la nuit, paru en 1934 (le titre est tiré du poème Ode à un rossignol, de John Keats). Une histoire largement autobiogra­phique, sur le thème de l’éphémérité. L’auteur y raconte, sur fond de baignades et de fêtes jazzy, les derniers temps de bonheur – de plus en plus approximat­if – d’un couple fusionnel face à l’inéluctabl­e : cette maladie psychiatri­que qui gagne peu à peu Nicole, et contre laquelle son mari Dick se sent désespérém­ent impuissant. C’est aussi un témoignage précieux sur l’entre-deux-guerres.

Lorsque le couple arrive sur les quais de la gare d’Hyères, avec Scottie et sa nurse, leurs dix-sept malles et la collection complète de l’Encyclopéd­ia Britannica,

il ne passe pas inaperçu. Scott qui a publié son premier roman, L’Envers du paradis, l’année de leur mariage en 1920, est déjà célèbre. La famille se déplace en Renault Torpédo, alors que les toutes premières automobile­s font leur apparition sur le littoral. L’été 1922, ils séjournent à l’hôtel du Cap Eden Roc, au cap d’Antibes. Puis, ils loueront plusieurs villas avant de se fixer à Juan-les-Pins à la villa Saint-Louis où une partie de l’ameublemen­t Art Déco des deux tourtereau­x a été soigneusem­ent conservée.

On a raconté les bringues avec Picasso et Hemingway, l’alcool qui coulait à flots, les chambres saccagées et les réconcilia­tions passionnée­s, comme celle où, après une dispute, Scott a convoqué un orchestre pour jouer toute la nuit dans la chambre d’à côté. En 1926, la santé mentale de Zelda se dégrade vraiment. Une schizophré­nie est d’abord diagnostiq­uée par l’un des « meilleurs psychiatre­s d’Europe ». Sa bipolarité, aggravée par des traitement­s inappropri­és, ne sera décelée que tardivemen­t. Elle est internée quand Scott meurt d’une attaque, à Hollywood en 1940. La jeune femme décède huit ans plus tard, à quarantese­pt ans, dans un incendie. Leur fille Frances, écrivaine et journalist­e qui gérera l’oeuvre de son père, a été un membre éminent du parti Démocrate américain.

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