Si c’était un fake, il était rudement bien fichu
Pour une surprise, on en resta tous baba : à la Une de Nice-Matin s’étalait un titre qui avait un parfum d’embuscade, d’aventure. Il annonçait la décolonisation des régions françaises. Babette, la patronne du bar des Cigales, écarquilla ses grands yeux bleus en érection ; puis, déployant son grand sourire plein de dents, elle déclara à ses clients : - Ça se corse, ça se corse… Paris se résignait à la libération des territoires. E. Macron, haut-fonctionnaire habillé en président du moment, avait, paraît-il, murmuré cette information dynamite à la radio. Comme ça d’un coup, le centralisme branlant avait capitulé. Usés d’être inutiles ou de saboter les initiatives locales, les énarques de la capitale avaient plié : du fond de leurs bureaux duvetés du 7e arrondissement, ils renonçaient par la voix de leur président à penser à la place de la piétaille locale et à faire semblant d’agir sous les ors de Paris. Fin de la comédie étatophile freinante. Nice-Matin était formel : onsoldait à l’encan l’Etat vermoulu de Colbert, trois siècles d’une histoire qui avait été jolie jadis mais qui, dans la déconfiture nationale du confinement avait montré ses limites : l’Etat parisien ne protégeait plus quand soufflait une crise qui torgnolait les Français. C’était bien les communes qui, agiles, avaient, par salves d’initiatives, sauvé ceuxqui-ne-comptent-pas de la Covid-19. Désormais, les gueux pourvus d’accents seraient les princes. Au bar des Cigales, on en eut un fou rire nerveux de cette nouvelle-la. Ce troquet, on en était comme d’un village.
Derrière son zinc, le décolleté joyeux, Babette retourna le journal, palpa le papier doux. Si c’était un fake, il était rudement bien fichu. Même grammage qu’un vrai Nice-Matin. A la cantonade qui sifflait des Pastis et des alcools frais, elle lut un article très bien fait pour un faux, quasi crédible. Une soi-disant journaliste de NiceMatin y détaillait gaiement comment, épuisés d’être inefficaces et de faire de la com, les petits gris de Bercy, ces castrateurs obstinés de l’énergie nationale, experts en blocage d’initiatives locales hardies, et bien ils avaient… soudain arrêté de venir au bureau. Se faire engueuler par le populo, ça mine le ciboulot, expliquait-elle. Les huissiers du Ministère des Finances, prétendait l’article, avaient eu la stupeur de voir des bureaux désertés. Les financiers de l’Etat, les réputés pourtant très sérieux, n’y croyaient tellement plus au centralisme autoritaire, qu’ils avaient raccroché les gants. Babette relut ce papier assez drôle à sa clientèle niçoise très sidérée. L’auteure disait avoir interviewé le dernier hautfonctionnaire qui venait encore, par habitude, à Bercy ; le grand bâtiment qui, au bord de la Seine, abrite les crânes d’oeufs qui décident de tout avec sérénité et sans culpabilité. Un dépressif au grand coeur qui y avait cru à l’utilité de la République jacobine. Bégayant et touchant, il avouait sur une colonne que la République de Paris ça ne fabriquait plus que de l’inégalité territoriale, un tsunami de normes qui avaient mis la moindre activité humaine dans un ralenti français extraordinaire. Ses aveux de gratte-papier fendaient le coeur. Aux dires de cet exemplaire de Nice-Matin, la fin du grand Etat entortillé de strates par Napoléon et aiguisé par Charles de Gaulle, ça se terminait comme ça, en capilotade minable, en auto - dissolution. Faute de croyants, de desservants prêts à infliger des coups de tampon, l’absentéisme généralisé aurait eu raison de l’Etat majestueux rêvé par Louis XIV. La totalité du clergé jacobin, toute la clique énarchisée, n’aurait même plus eu envie de continuer à faire semblant d’agir. La pénurie de masques, après que l’Etat en eut méthodiquement pulvérisé les stocks en confettis, aurait achevé le moral des évêques de l’administrationperchée à Paris. Dans le bar, chacun en rigola énormément pour finir. Babette arborait toutes ses dents à chaque éclats de rire : T’imagines, Patrick, la décolonisation de nos territoires ? Le Patrick en ria fort et un peu jaune, à la Fernandel. Patrick, c’était un gars qui vivait au seuil de lui-même, à l’intérieur il faisait trop sombre. Il n’était jamais vacant pour les aventu