Dupond-Moretti, un angoissé qui n’a peur de rien
Dupond-Moretti garde des Sceaux ! La nouvelle ponctuée d’une exclamation avait, hier soir, les allures d’une « fake news » tant elle était imprévisible. Le célèbre pénaliste du Nord, inscrit au barreau de Paris depuis 2016, domicilié à Nice depuis peu, (une manière de se rapprocher de ses racines italiennes), se définit comme un homme de gauche, fier de rappeler que sa mère était femme de ménage et son père ouvrier. Très apprécié de Brigitte Macron, Eric Dupond-Moretti constitue « La » surprise du gouvernement.
Chroniqueur à Europe
Il venait de signer un contrat comme chroniqueur sur Europe 1. Autant dire qu’il a été sollicité ces tout derniers jours. Sa nomination paraît incroyable tant le personnage est controversé. L’homme tient plus que tout à sa liberté de ton et de parole, pourfendeur de la bien-pensance et de la bienséance, contempteur sans concession des extrémistes qu’ils soient de gauche ou de droite. L’homme déteste quand la justice se confond avec la morale ou la vengeance. Après avoir prêté serment en 1984 à Douai, il a marché dans les pas de l’avocat toulousain Alain Furbury, son mentor. Très vite, il se spécialise dans le droit pénal. Son éloquence naturelle, sa prestance, la vivacité de ses répliques, le rapport de force qu’il engage avec certains magistrats, font de lui un pénaliste reconnu dans les cours d’assises du Nord et de l’Est de la France. De Douai à Chaleville-Mézières, de Laon à Reims...il commence à bâtir sa réputation d’ » Acquittator ». Sa présence, sa voix de stentor masquent l’angoisse qui le tenaille avant chaque plaidoirie. Parfois jalousé de ses confrères, honni de beaucoup de magistrats, souvent détesté par les policiers et les gendarmes qu’il cherche constamment à déstabiliser pendant les procès, il prend encore une nouvelle dimension en 2004 lors de l’affaire d’Outreau où il défend Roselyne Godard, la boulangère.
Un épicurien à contre-courant
Les projecteurs médiatiques sont alors braqués sur lui et ce n’est pas pour lui déplaire. Il défend constamment les grands principes du droit auxquels il est attaché. Quitte à oublier les bonnes manières. Pas question de transiger avec le secret de l’instruction, le respect de la présomption d’innocence ou de la vie privée, que ce soit à la défense d’un gamin des cités, d’un ministre ou d’un terroriste. Epicurien, toujours en quête d’une bonne table dans son tour de France des cours d’assises, amateur de chasse aux faucons et de corrida, de littérature et de chansons françaises, il se complaît à vivre à contrecourant. Propulsé dans un monde, la politique, qu’il va découvrir. comment évitera-t-il les chausse-trapes ? L’annonce de sa nomination a déjà provoqué un déferlement d’indignations. L’USM, principal syndicat de magistrats, parle de « déclaration de guerre ». Dupond a le cuir tanné et n’a peur de rien, surtout pas des défis, Difficile, dans la Ve République, de mettre en exergue un grand ministre de la justice à l’exception de Robert Badinter. A Eric Dupond-Moretti de se montrer à la hauteur de cet illustre prédécesseur. Pas une mince affaire alors que son ministère manque cruellement de moyens.