Var-Matin (Grand Toulon)

« Il n’aimait pas l’injustice, mon fils l’a payé de sa vie »

Michèle Capdeviell­e rend hommage à son fils, Jean-Christophe, poignardé à mort par un voisin le 1er juin, quartier République. Son récit éclaire le parcours de ce garagiste, personnali­té locale

- Recueilli par CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Trois ans, ça va être long. » Dans un soupir, Michèle Capdeviell­e évoque avec son avocat le marathon judiciaire qui l’attend. Trois ans, peut-être, avant d’espérer voir comparaîtr­e aux assises l’homme accusé du meurtre de son fils. C’était ce 1er juin, et le drame a suscité l’émoi de tout un quartier. Jean-Christophe Capdeviell­e, 52 ans, garagiste au grand coeur, a reçu plusieurs coups de couteau dans la copropriét­é dont il présidait le conseil syndical, au 29, avenue de la République. Le meurtrier présumé est un voisin : E. S., 68 ans, au coeur d’un vieux litige civil. Selon lui, Jean-Christophe Capdeviell­e l’aurait agressé. Mais c’est lui qui dort en prison. « Nous partons d’un postulat qui est clair : c’est un meurtre. Et l’autopsie corrobore cette thèse », martèle Me Franck de Vita. Michèle Capdeviell­e et sa fille, Sabine, se sont adjoint les services d’un ténor pour porter la voix de la partie civile. Le parquet ne s’exprime pas à ce stade, la défense n’a pu être jointe. À 75 ans, Michèle entend se battre pour la mémoire de son fils. Elle a habité Nice et Villefranc­hesur-mer, mais c’est du Var qu’elle est venue à notre rencontre, au cabinet niçois de Me De Vita. Avec le souci de ne pas interférer avec l’instructio­n. Mais l’envie d’éclairer le parcours atypique du fils disparu. Un témoignage poignant de dignité.

Quel fut son parcours ? Difficile au départ. À  ans et  mois, il était dans l’accident qui a coûté la vie à son père, dans les Landes. C’était le  mai , pour la Pentecôte. Mon mari se rendait chez ses parents, son père étant malade. Il s’est endormi au volant… Le petit a été éjecté de la voiture. Il a dû sortir de la forêt pour retrouver le bord de la route. Il avait été scalpé, était couvert de sang. Des gens sont partis à la police pour signaler l’accident.

Quelles séquelles a-t-il gardées ? Il a été bien soigné à l’hôpital de Dax. Il avait une crête sur la tête – ma belle-mère lui avait acheté une casquette pour la cacher ! Quand il est entré à l’école, il faisait des blocages. Ils ont demandé que sa petite soeur l’accompagne.

Dans quel contexte a-t-il grandi ? On habitait à côté de Versailles [Yvelines]. Je passais le concours de l’école supérieure de banque. Une voisine les emmenait le matin à l’école. La nounou s’est occupée d’eux comme si c’étaient ses enfants. Toute cette équipe m’a beaucoup soutenue.

Vos enfants ont pris l’habitude de vivre en collectivi­té, à l’instar de celle qui gravitera plus tard autour de votre fils ? On les citait toujours en exemple. Pas au niveau du travail, mais de l’éducation ! Ils étaient très bien élevés. À chaque fois que Jean-Christophe voyait une dame avec des paquets, il l’aidait à les porter. Il a toujours eu envie de rendre service. Souvent, quand il y a des drames, on dit : « C’est parce qu’ils ont été élevés par des familles monoparent­ales. » Je déteste cette expression ! J’estime avoir bien élevé mes enfants, alors que j’étais toute seule. On était très soudés, tous les trois. On avait surmonté ce drame ensemble. On devait se revoir à Pâques. Mais à cause du Covid, on n’a pas pu…

Quand êtes-vous arrivés sur la Côte d’Azur ? En . J’étais la première femme directeur de banque en Paca ; la Côte d’Azur, c’était une récompense. Jean-Christophe est entré en e à Sasserno. On habitait boulevard Dubouchage. Après la e, Jean-Christophe est parti à Aix-en-Provence, à SaintÉloi. Il a passé un bac électricit­éélectroni­que, avant de se passionner pour les motos. Je lui ai acheté une Suzuki ER .

Et il a ouvert son garage… Il a acheté son appartemen­t avenue de la République il y a une trentaine d’années. Il avait repéré un local libre en bas. Il l’a acheté en SCI avec moi. J’ignore comment il a appris le métier, mais c’était sa passion ! Il savait tout faire : plomberie, électricit­é, peinture, carrelage…

Son garage façon caverne d’Ali Baba était le lieu de rendez-vous d’une étonnante communauté… Ses anniversai­res réunissaie­nt  personnes. Y’avait un peu de tout dans ses copains [elle sourit] . Il rendait service à tout le monde. Mais son appartemen­t à lui, il ne l’aménageait pas ! Il était toujours présent pour tout le monde, mais n’avait jamais le temps pour lui.

C’était un personnage atypique, à l’image de son look ? Son look, ça, je n’y peux rien… Peut-être était-ce lié au fait qu’il avait été scalpé petit ? [Une pause] Au fond de moi, il est toujours là.

Dans quel contexte est né ce conflit de voisinage ? Il s’était pris d’affection pour un petit monsieur âgé, qui habitait au troisième étage. Quand ce monsieur est décédé en avril, sa famille a vidé l’appartemen­t. Et l’autre monsieur est arrivé. Il est entré dans l’appartemen­t et a changé les serrures. Il est venu squatter, en présentant un faux bail ! Comme Jean-Christophe était au conseil syndical, il voulait que ce monsieur dégage.

À votre connaissan­ce, que s’est-il passé le jour du drame ? Jean-Christophe me laisse un message vocal à  h . Il me dit : « Cet après-midi, avec la copro, j’ai une galère. » Il se reprend, ajoute : «Une grosse, grosse galère… » La police a pris le message.

Y avait-il eu une première altercatio­n le matin même ? Oui. Une personne les a vus dans la rue, le matin, près du garage. Ils se disputaien­t. À ce momentlà, je pense que Jean-Christophe a donné rendez-vous au monsieur. D’après les témoins, Jean-Christophe a pris le dossier, car il voulait que ce problème de squat soit réglé avant l’assemblée générale, prévue le  juin. C’était un problème civil. Il voulait aider le syndic. La famille [du monsieur décédé] voulait vendre, mais l’appartemen­t était squatté. Dans ce domaine, la loi est si bien faite que le squatteur a plus de droits que le propriétai­re !

Pensez-vous que votre fils a voulu en découdre, excédé ? Excédé, non. Mon fils n’était pas rancunier. Je ne l’ai jamais vu s’emporter. La police me dit qu’il avait le couteau à la taille ; je ne l’ai jamais vu avec quand il venait me voir. Selon ses copains, il avait toujours un truc pour visser ou dévisser quelque chose.

Vous nous avez dit d’emblée refuser le terme « rixe »… Quand on parle de « rixe », je vois deux loubards en train de se battre. Pour moi, ce n’est pas ça du tout ! Jean-Christophe et lui ont eu un différend, mais ce n’était pas une « rixe ».

Votre fils a payé de sa vie son dévouement pour les autres ? Son civisme, oui. Il n’aimait pas l’injustice. C’est peut-être de ma faute, aurais-je dû l’éduquer autrement ? Il n’aurait pas dû y aller tout seul. Il aurait dû attendre l’huissier. Peut-être était-ce trop long pour lui…

Comment avez-vous appris son décès ? Il est décédé à  h . L’hôpital m’a appelée à  h . Une amie m’a emmenée le voir. Le jeune chirurgien qui m’a accueillie m’a dit : « J’ai tout fait pour le sauver, votre fils… » À son arrivée, il était en arrêt cardiaque. On l’a tout de suite transfusé car il avait perdu beaucoup de sang (il était donneur de sang). Après pas mal d’efforts, le coeur s’est remis à battre. Puis il a relâché. Et là, il n’y avait plus rien à faire…

Qu’attendez-vous du marathon judiciaire qui s’annonce ?

Je veux que cet homme ne ressorte plus de prison. Qu’il ne fasse plus de mal à personne. Et que la mémoire de mon fils ne soit pas entachée par une «rixe».

Avez-vous un message pour tous ceux qui vous ont soutenus ? Je veux remercier toutes les personnes qui ont été présentes pour l’hommage et les obsèques. Quand le corbillard a démarré, il y avait beaucoup de monde aux fenêtres et tout le monde a applaudi. ça m’a beaucoup émue.

‘‘ Il m’a dit : « J’ai une grosse galère avec la copro »”

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(Photo Éric Ottino) Michèle Capdeviell­e, partie civile, avec son avocat niçois, Me Franck de Vita.
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(DR) Jean-Christophe Capdeviell­e, un look et un visage bien connus quartier République.

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