Var-Matin (Grand Toulon)

Nina Simone est ma première icône féminine”

- PROPOS RECUEILLIS PAR JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Au moment de la golden hour, tant prisée par les photograph­es, Ayo a débarqué de sa loge. Radieuse dans sa longue robe à fleurs, le pas lent, élégant. Et pourtant nouée comme si elle allait monter sur scène pour la première fois. Ce n’était pas encore la frénésie des grands festivals. Mais après une longue pause forcée, tout est bon à prendre. Après Thomas Dutronc, passé la veille, et avant le saxophonis­te Plume, la chanteuse aux origines allemande et nigériane était l’invitée des Nice Jazz Air Sessions. Hormis une cinquantai­ne de happy few massés dans les marches de l’Observatoi­re de la Côte d’Azur, le public n’était pas admis. Le spectacle était à suivre sur le site du Nice Jazz Festival et sur sa page Facebook. Malgré une réalisatio­n soignée et un décor « naturel » à tomber, les compteurs n’ont pas vraiment grimpé, faute de communicat­ion efficiente. Pas de quoi gâcher le plaisir d’Ayo. Après avoir pris un long moment pour discuter et prendre des photos avec une petite fille qui assistait pour la première fois de sa vie à un concert, l’artiste s’est montrée aussi disponible pour répondre à nos questions. Le genre de rencontre qui réchauffe l’âme.

Sur scène, vous sembliez émue en disant que la musique guérit l’âme... C’était très vrai pour moi ces derniers temps. Quand je suis arrivée en studio pour enregistre­r mon dernier album [Royal, sorti en janvier dernier, ndlr], je venais de passer des moments difficiles [l’un de ses meilleurs amis s’est suicidé, ndlr]. Pour la première fois, j’ai compris ce que cela signifiait de faire une dépression. Ce disque m’a fait sortir d’un endroit très sombre.

Ce retour sur scène était un moment fort, malgré les conditions restrictiv­es ? Oui ! Comme ça faisait longtemps que je n’avais pas chanté, j’étais très nerveuse, c’était dur d’avoir des repères. En plus, les cordes vocales sont des muscles, il faut les entraîner. J’avais un doute à ce niveau, mais ça allait finalement. J’ai profité. Je savais que je n’avais qu’une heure. On n’a répété qu’un seul jour avec les musiciens. Mais eux, ils n’ont pas besoin de ça, ils sont incroyable­s. Là, j’aimerais tellement pouvoir me dire qu’il y aura un autre concert demain, puis aprèsdemai­n. Je vais rentrer chez moi, au Portugal [elle vit désormais à Cascais, une cité balnéaire à trente kilomètres de Lisbonne] et je ne vais pas jouer pendant plusieurs semaines.

Sur cet album, certaines orchestrat­ions sont très jazz. Vous aviez envie de toucher à ce style depuis longtemps ? C’était mon rêve de faire ça. En ce moment, mon coeur a envie de jouer du jazz. Je veux me poser, être en paix, entendre la nature et les instrument­s.

Dans l’émission Taratata, avec Fatoumata Diawara, vous avez repris I’m Feeling Good, de Nina Simone. Elle vous inspire ? C’est ma première icône féminine. Elle n’avait pas peur de parler de thèmes importants, elle était authentiqu­e. Ce n’était pas seulement une chanteuse, c’était une activiste. Pour moi, c’est important d’avoir un message.

Vous souhaitez combattre plus fortement le racisme ? Avec tout ce qui s’est passé aux États-Unis, avec Ahmad Albury, George Floyd ou même avant, avec Mike Brown, j’ai toujours voulu écrire sur ces sujets. Parfois, c’est dur de rester positive. Sur les réseaux sociaux, je ne me voyais pas continuer à poster des photos dans de belles robes ou parler de ce que je mange. Comment peut-on passer à autre chose, comme si de rien n’était ? Je n’en suis pas capable.

Down On My Knees, votre premier succès, date de . Quel regard portez-vous sur la jeune femme que vous étiez alors ? C’est marrant, je crois qu’il n’y a pas de grande différence. Même si, aujourd’hui, je suis plus sûre de moi. Je n’ai plus peur de faire des erreurs ou de ne pas être aimée. En vrai, le trac est toujours là ! Parfois, mes jambes tremblent et je n’arrive pas à jouer de la guitare. Au début, ça arrivait souvent, c’était horrible.

Pourquoi avoir choisi de reprendre Né quelque part ,de Maxime Forestier sur votre album ? Quand je la chante, c’est comme si je parlais de moi. Je suis étonnée de voir à quel point cette chanson est actuelle. Maxime l’a écrite il y a tellement longtemps [en , ndlr]. Elle est magique, très forte. Tout ce qu’il évoque dans les paroles est devenu encore pire qu’à l’époque.

Vous avez commencé votre concert avec Rest Assured ,un témoignage de votre foi et un message d’amour à vos trois enfants... (Elle nous demande si on a des enfants. Négatif, madame). Beaucoup de gens craignent de faire des enfants, dans ce monde si particulie­r. Mais pour moi, c’est la plus belle chose qui puisse arriver. L’amour maternel est le seul amour inconditio­nnel. Dans un couple, il peut être très fort, mais on ne sait pas combien de temps ça va durer. Avec mes enfants, il y a des moments difficiles, mais mon amour pour eux ne fait que grandir. En tournée, ils voyagent avec moi. L’enfance passe vite, je veux être proche d’eux.

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