Var-Matin (Grand Toulon)

« Il y a mille manières de parler de Lou Reed, on a choisi la poésie » Àlafin, il ne voulait plus jouer ses chansons, il voulait les dire”

La chanteuse francobrit­annique sort Run Run Run, un disque tiré du spectacle du même nom, en hommage à Lou Reed. Une pièce à écouter pour redécouvri­r le poète derrière le rockeur.

- PAR AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

En attendant son nouvel album prévu pour 2021, qu’elle enregistre­ra cet été en Angleterre, Emily Loizeau dévoile Run Run Run. Un disque sorti en double vinyle à l’occasion du Disquaire Day pour soutenir les disquaires indépendan­ts (également disponible en format numérique), qui rend hommage à Lou Reed. Enregistre­ment du spectacle du même nom – qu’elle a joué pendant trois ans avec la comédienne Julie-Anne Roth et le guitariste Csaba Palotaï, et qui doit être repris les 10 et 11 septembre au 104, à Paris –, cet album surprend. Intimiste et hybride, entre reprises dépouillée­s du Velvet Undergroun­d et déclamatio­ns de textes issus de Traverser le feu, l’intégrale des écrits de Lou Reed traduits par Sophie Couronne (Seuil, 2008), Run Run Run embarque l’auditeur dans une veillée à la mémoire du chanteur disparu en 2013. Une invitation à découvrir sa poésie, débarrassé­e de l’image sulfureuse du rockeur.

Pourquoi un disque et pourquoi trois ans après avoir terminé de jouer les spectacles ? C’est vrai que c’est absolument anti-commercial ! (rire) Au départ, on était juste dans une démarche de théâtre musical, de live .Ona finalement fait des captations des derniers concerts parce que c’était une demande du public, qui voulait garder quelque chose. En fait, c’est un peu un scrap book sonore, un livre de souvenirs. Ça permet aux gens qui ont vu le spectacle de le revivre, et aux autres de faire une traversée…

Ce format, mi-concert milecture, met l’auditeur dans une position originale. Il demande une écoute plus attentive qu’un live classique… Tout à fait. J’adore les podcasts, par exemple. Le geste de ce disque, c’est vraiment de faire vivre aux gens l’immersion que l’on a vécue. On n’a pas fait de découpage type album ou sélectionn­é uniquement les chansons. On a gardé ce fil qui s’étire. L’installati­on, le déroulé sans applaudiss­ement, jusqu’à la fin. Pour qu’on puisse fermer les yeux et rentrer par les oreilles.

Ce disque est une initiation à la poésie de Lou Reed ? Complèteme­nt. Il y a mille manières de parler de lui : par La Factory, par Andy Warhol, par le rapport au sexe, la drogue, le rock… On a choisi la poésie. Parce que c’était sa volonté. À la fin, il ne voulait plus jouer ses chansons, il voulait les dire. Qu’on entende à quel point il avait laissé une oeuvre poétique majeure. On parle de lui comme d’un artiste méchant avec les journalist­es, difficile, mais s’il était comme ça, c’est parce qu’il avait l’impression que les gens étaient sans cesse à la recherche du dépravé, du noir, du gossip ! Ça le rendait dingue. C’est ce que Sophie Couronne, qui a échangé avec lui au moment de la traduction de l’intégrale, m’a raconté. Moi qui ai beaucoup écouté Lou Reed, j’ai réalisé que je n’avais pas mesuré sa force poétique, littéraire. La simplicité des phrases, la douceur parfois. L’irrévérenc­e bien sûr, l’insolence, la remise en cause des codes sociaux.

Vos deux univers semblent éloignés. Comment se glisser dans ses chansons ? Ce qui m’intéresse quand je reprends, c’est l’appropriat­ion, sinon je préfère écouter l’originale. On s’en fiche de savoir si c’est mieux ou moins bien, ça laisse la place à autre chose, à la chanson pour ce qu’elle est. Je suis pianiste pas guitariste, j’ai mon registre, je suis une femme… On a choisi de Lou Reed ce qui nous ressemblai­t, il ne fallait pas jouer de rôle. Mais son univers musical n’est pas si éloigné de moi, j’ai beaucoup écouté le Velvet, Dylan, Tom Waits, je suis à moitié anglaise, ma culture musicale est là aussi. Il y a chez Lou Reed un côté “Kurt Weillien”, presque cabaret, pop et acide, théâtral, qui me parle complèteme­nt. Après, je ne me pique pas, je ne suis pas bisexuelle, je n’ai pas du tout la vie qu’il a eue et je ne peux pas faire semblant ! Il n’y aurait rien eu de pire que d’essayer de faire croire que j’ai cette patine-là.

Un live, en ce moment, ça donne envie de retourner dans les salles de concert ? J’ai hâte bien sûr, mais l’impact pour moi est moindre que pour les copains qui étaient en pleine tournée. Moi, j’écrivais mon prochain disque, je ne m’en sors pas mal. En revanche, quand je pense à l’avenir, l’accès aux salles, la possibilit­é d’une deuxième vague, la distanciat­ion, ça met la base de notre métier en question. Et c’est très inquiétant. Les gens prennent le train, l’avion. Quelle différence avec une salle de spectacle ? Bien sûr, il faut faire attention et on n’a pas envie que quelqu’un de fragile ne puisse pas venir nous voir en raison de sa condition, mais il faut trouver un moyen de continuer ! Il en va de notre diversité culturelle. On n’est pas, en France, sur un paysage culturel uniquement commercial, qui ne soutient que les choses rentables et, si on veut préserver cela, il faut de l’argent de l’État. Les producteur­s, les artistes indépendan­ts... ne vont pas survivre et ce sera une énorme perte pour les citoyens, pour la qualité de l’offre culturelle de ce pays.

 ?? (Photo Micky Clément) ?? Run Run Run, un disque hommage à Lou Reed, en attendant son nouvel album personnel courant  : «Ilya des choses à dire en ce moment, ça inquiète mais ça inspire. Ce disque sera très imprégné de tout ça, on a un vecteur avec les chansons, qui est très important. En racontant des histoires, on peut toucher aux émotions intimes des gens, et parfois, modestemen­t, ça peut faire changer les lignes intérieure­s. »
(Photo Micky Clément) Run Run Run, un disque hommage à Lou Reed, en attendant son nouvel album personnel courant  : «Ilya des choses à dire en ce moment, ça inquiète mais ça inspire. Ce disque sera très imprégné de tout ça, on a un vecteur avec les chansons, qui est très important. En racontant des histoires, on peut toucher aux émotions intimes des gens, et parfois, modestemen­t, ça peut faire changer les lignes intérieure­s. »
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Run Run Run. Emily Loizeau, Julie-Anne Roth et Csaba Palotaï. (December Square)

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