Var-Matin (Grand Toulon)

◗ Gérald Darmanin, le nouveau ministre de l’Intérieur : « La menace reste forte »

Sur tous les fronts depuis sa nomination, le nouveau ministre de l’Intérieur sera aujourd’hui dans les Alpes-Maritimes. Il rendra notamment hommage aux victimes de l’attentat de Nice

- PROPOS RECUEILLIS PAR DENIS CARREAUX dcarreaux@nicematin.fr Lire la suite de notre dossier en pages  à 

Vous préférez mon bureau ou la terrasse ? » Pas de poignée de main, gestes barrières obligent, Gérald Darmanin va droit au but. Pour sa première interview à la presse écrite, accordée hier matin au groupe Nice-Matin, ce sera donc le calme bucolique du grand jardin de Beauvau, où gambadent quelques poules. Pas une minute à perdre, le ministre est attendu à Calais moins de deux heures plus tard. Lot-etGaronne, Pyrénées-Orientales, Dijon, Bayonne, Agen, Nice et Levens aujourd’hui : depuis sa nomination, Gérald Darmanin, très à l’aise dans ses habits neufs de premier flic de France, est partout. Si certains s’empressent d’assimiler son style à celui de Nicolas Sarkozy, un de ses prédécesse­urs, le nouveau ministre de l’Intérieur entend imprimer sa propre marque. À toute vitesse.

ATTENTAT DE NICE ISLAMISME ET COMMUNAUTA­RISME

Vous venez à Nice alors que la ville s’apprête à rendre hommage aux victimes de l’attentat du  juillet . Quelle est la significat­ion de cette visite ? À la veille du quatrième anniversai­re de ce terrible attentat, il est important de marquer le fait que l’État, ainsi que le président de la République me l’a demandé, montre toute sa considérat­ion pour les victimes, leurs familles, ainsi que pour la ville de Nice qui a été endeuillée par cet attentat islamiste. Je veux aussi vérifier, avec le préfet du départemen­t ainsi que l’ensemble des forces de police, le dispositif de sécurité mis en place pour les cérémonies, et remercier les forces de l’ordre qui font un travail difficile. Elles ont su, lors de l’attentat et par la suite, être au rendez-vous de la sécurité des Niçois. Je rendrai aussi visite à mon ami Christian Estrosi, dont je connais l’implicatio­n sur les questions de sécurité. Il est d’une certaine manière un modèle pour les maires qui s’engagent pour l’autorité et la sécurité. Je discuterai avec lui de la façon dont nous pourrons travailler ensemble.

Nice reste traumatisé­e par ce -Juillet meurtrier. Un attentat pourrait-il se reproduire dans les mêmes conditions ? Nous faisons tout pour l’éviter. La France est toujours sous la menace extrêmemen­t forte d’attentats terroriste­s. Les services de renseignem­ent ont bénéficié d’effectifs et de moyens supplément­aires, la loi a été renforcée et a permis de fermer plus d’une dizaine de lieux de culte ainsi que des écoles qui sont en dehors de la République.

Quel est précisémen­t l’état de cette menace ? Elle est importante. Le monde est dangereux. Même si la France a réussi à limiter la puissance de forces nuisibles à l’extérieur, il y a toujours un ennemi de l’intérieur que nous combattons chaque jour. Je rappelle que depuis , ce sont  attentats qui ont été déjoués grâce à l’action de nos services.

Un rapport du Sénat vient de souligner l’urgence à agir contre l’islamisme radical. Que peut-on faire de plus ? Je suis en train de prendre connaissan­ce de ce rapport et je recevrai les parlementa­ires qui l’ont élaboré. Je reprendrai des propositio­ns si celles-ci s’avèrent pratiques et efficaces. Nous devons surtout continuer à appliquer tout ce qu’a prévu la loi.

Les moyens d’interventi­on de l’État sont très forts et très nombreux. Il ne faut pas avoir la main qui tremble dans cette lutte acharnée pour imposer la République face à ceux qui veulent l’abattre. Nous devons aussi continuer à renforcer les moyens des forces de police et de la DGSI, travailler avec les préfets, dont le rôle est essentiel, et mener un travail de partenaria­t important avec les maires. Nous devons aussi rassurer nos compatriot­es croyants, notamment les musulmans que je ne confonds pas avec les islamistes politiques. Ma conviction est faite depuis longtemps sur ce point, et mon histoire familiale le démontre. Nous devons aider nos compatriot­es musulmans à vivre leur foi dans le cadre de la République, et nous montrer intraitabl­es à l’égard de ceux qui ont un projet de renverseme­nt de ses valeurs.

Vous appelez à lutter contre « toute forme de communauta­risme ». Que comptez-vous faire ? La lutte contre le séparatism­e est une priorité absolue du président de la République, qui a d’ailleurs présenté le  février dernier une stratégie très précise en la matière. Vous le savez : il s’agit pour moi d’un combat de coeur et de conviction. Comme citoyen, comme élu, et aujourd’hui comme ministre de l’Intérieur. En premier lieu, il s’agit de réaffirmer qu’il existe une seule communauté, la communauté nationale. Il faut qu’on soit fiers d’être français. La France, depuis toujours, n’est pas une religion ou une couleur de peau. Être français, c’est se confondre dans une communauté nationale qui ne distingue pas ses enfants autrement que par le mérite. Il ne faut pas se montrer naïfs. Il existe deux types d’agents communauta­ires : les communauta­ristes revendiqué­s, qu’il faut évidemment combattre, et ceux qui avancent par petits pas, pratiquent la dissimulat­ion, proposent des arrangemen­ts en mettant par exemple en place des repas communauta­ires ou des horaires différenci­és dans les salles de sport. Je ne serai pas le ministre de l’Intérieur qui l’acceptera. La lutte contre la radicalisa­tion se fait aussi ailleurs, notamment à l’Éducation nationale, et je tiens à souligner l’excellent travail mené par JeanMichel Blanquer qui, lui non plus, ne sourcille pas sur cette question.

Depuis 2013, 61 attentats ont été déjoués ”

SÉCURITE ET POLICE

Le Premier ministre a exhorté samedi les ministres à aller sur le terrain. Il a raison ? Totalement. Je connais Jean Castex depuis longtemps.

C’est à la fois un homme très politique au sens premier du terme, un amoureux de la République et un élu local.

Nous sommes de la même école, celle des élus de terrain. Je n’ai jamais considéré que ma vie politique était une vie de bureau. Ce n’est pas place Beauvau qu’on peut connaître la réalité de l’insécurité publique. Il est important de montrer aux policiers, aux gendarmes, aux pompiers que je ne suis pas derrière eux, mais devant eux, et que je suis prêt à me faire engueuler pour eux.

La confiance des policiers a été entamée ces dernières semaines. Comment comptez-vous la restaurer ? C’est par les actes que les forces de l’ordre jugeront leur ministre. Sans elles, il n’y a pas de République. Les plus riches ont les moyens de leur sécurité. Moi, je suis le ministre de l’Intérieur des classes populaires, à la tête du plus grand ministère social de France.

Imposer la République à ceux qui veulent l’abattre ”

À la veille de son départ, le défenseur des droits Jacques Toulon a estimé urgent de faire évoluer le maintien de l’ordre. Vous partagez son point de vue ? J’ai reçu sa délibérati­on-cadre. Je suis en train de l’étudier. En septembre, j’aurai l’occasion de préciser les évolutions

possibles du maintien de l’ordre. Doit-il évoluer ? Sans doute. Mais je voudrais d’abord dire à quel point j’ai admiré le travail des policiers et des gendarmes, leur calme face à des manifestat­ions souvent violentes.

Vous étiez hier à Bayonne et avez rencontré la famille de Philippe Monguillot. Vous avez évoqué « des mesures pour tous les chauffeurs de France ». En quoi consistero­nt-elles ? Le drame affreux de Bayonne constitue un acte ignoble qui m’a révulsé. Le travail d’un conducteur de bus n’est pas de mourir parce qu’on demande à quelqu’un de porter un masque ou de produire un ticket. Les transports en commun doivent être davantage sécurisés. La loi Savary de  prévoit de nombreuses dispositio­ns. Les élus et les sociétés de transport doivent l’appliquer. On peut développer les systèmes de vidéoprote­ction et accentuer la coordinati­on entre polices nationale, municipale et les entreprise­s de transports. J’ai demandé dès hier au directeur général de la police nationale de revenir vers moi pour me faire des propositio­ns très concrètes. La sécurité est aussi de la responsabi­lité des sociétés de transport. Je serai à leurs côtés s’il faut procéder à des évolutions législativ­es.

Vous étiez cette semaine à Dijon avec Jean Castex un mois après une importante série de violences. Des effectifs supplément­aires ont été annoncés. Pourra-t-il en être de même à Nice, où le quartier des Liserons a aussi connu des incidents ? La situation est un peu différente. Nous observons en France une nouvelle forme de violence communauta­ire que nous devons mieux connaître et combattre. Je ne viens pas à Nice annoncer des effectifs supplément­aires.

Je viens pour écouter, remercier le travail partenaria­l de la ville de Nice avec l’État et saluer l’action d’Éric Ciotti avec lequel je travaille depuis longtemps, même si nous avons désormais des différence­s d’opinions politiques.

Vous vous rendrez lors de votre visite sur le site du futur hôtel des polices de Nice où toutes les forces de sécurité seront mutualisée­s. Un exemple à suivre ? En , conforméme­nt à l’engagement du président de la République et à celui de mon prédécesse­ur, nous inaugurero­ns ce beau commissari­at.

Le maire de Nice tient beaucoup au continuum de sécurité entre la police municipale, nombreuse et forte, et la police nationale. Avoir le même local est idéal pour mieux se parler. Ce partenaria­t est remarquabl­e. Si l’État est au rendez-vous de cet investisse­ment pour un peu plus de cent millions d’euros, la ville de Nice, le Départemen­t et la Région mettent également la main à la poche.

Le maire de Nice Christian Estrosi demande régulièrem­ent que l’État lui transfère des compétence­s en matière de sécurité. Est-ce envisageab­le ? Je fais confiance aux maires de France, qui sont aussi des agents de l’État. Ils n’ont pas tous le même esprit et la même énergie que Christian Estrosi. Je ne suis pas certain qu’il soit opportun de transférer des compétence­s aux polices municipale­s. En revanche, il faut faciliter la vie des maires et leur donner davantage de pouvoirs de police. On ne s’appuie jamais assez sur les maires. Ils peuvent compter sur le ministre de l’Intérieur, parce que je suis l’un des leurs.

CRISE MIGRATOIRE

Vous vous rendez à Calais (hier en fin de matinée, Ndlr). Sur la question migratoire, comment être à la fois bienveilla­nt et ferme ? La France est un pays d’immigratio­n depuis le début de sa constructi­on politique. Je suis moi-même le produit de cette France terre d’accueil. Ce qui est important, c’est de vibrer au son de la Marseillai­se, de parler français, d’avoir le culte de son histoire même si votre famille n’y a pas directemen­t participé. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut tout fermer tout le temps. En revanche, quand on va chez quelqu’un, on ne met pas les pieds sur la table et on ne crache pas par terre. Le droit d’asile doit être garanti. J’ai confié à Marlène Schiappa le soin de s’occuper de cette question essentiell­e. Pour tous ceux qui trichent, ne souhaitent pas respecter les lois de la République ou sont venus illégaleme­nt, il faut rappeler le bon sens qui consiste à ne pas rester sur le territoire national.

LE STYLE DARMANIN

Des manifestat­ions ont lieu dans plusieurs villes de France pour protester contre votre nomination et celle d’Éric Dupond-Moretti. Comment réagissez-vous à ce mouvement ? On peut manifester pour tout, et je suis attaché à cette liberté. En ce qui me concerne, je ne commente pas les décisions de justice, même quand elles me sont favorables. Je rappelle qu’il y en a eu trois consécutiv­es qui ont conclu à l’absence totale d’infraction. Ce n’est pas facile à vivre quand vous êtes calomnié. J’ai d’ailleurs porté plainte.

Quand on voit votre attachemen­t à la fonction de maire, cela doit être un déchiremen­t de rendre votre écharpe à Tourcoing… Je suis conscient que ce qu’on attend d’un ministre de l’Intérieur, c’est d’être présent  heures sur , et disponible. Je mentirais aux Français si je leur disais que j’étais capable de faire les deux. Servir votre pays dépasse ce que vous êtes. J’aurai l’occasion le  juillet, après avoir assisté aux cérémonies de la Fête nationale à Paris, de rencontrer mon équipe municipale.

La France n’est pas une religion ou une couleur de peau ”

La presse compare déjà votre style à Beauvau à celui de Nicolas Sarkozy… J’entends ces comparaiso­ns. Elles sont flatteuses. Je suis concentré sur le fond. Ce qui m’intéresse, c’est que lorsque je partirai du ministère de l’Intérieur, les policiers, les gendarmes et les pompiers puissent à nouveau indiquer leur profession sur le carnet de correspond­ance de leurs enfants à l’école. Certains policiers mentent parce qu’ils ont peur et ne sont plus fiers de leur métier. Je veux redonner cette fierté et créer des vocations. Cela me semble plus important qu’un style…

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