Var-Matin (Grand Toulon)

Étonnante maison pour personnali­tés d’exception

L’historien italien Enzo Barnaba sort à la fin du mois un livre sur la villa Voronoff à Menton, située juste derrière la frontière. Il Sogno babilonese est aussi l’histoire de ses surprenant­s propriétai­res

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Située à quelques encablures du poste Saint-Louis – côté italien – la villa Voronoff (ou Castello Grimaldi) a tout d’un décor de roman. Par son emplacemen­t entre mer et montagne, à la frontière entre deux pays. Mais aussi en raison de ses propriétai­res successifs, suffisamme­nt singuliers pour taper dans l’oeil de l’historien Enzo Barnaba. Déjà auteur d’un livre sur le chirurgien Voronoff et sur le Pas de la mort, celui qui vit à Grimaldi Superiore consacre un nouvel ouvrage à la villa et à son passé – Il Sogno Babilonese – dont la parution en italien est prévue à la fin du mois aux éditions Infinito. Des discussion­s sont par ailleurs en cours pour le faire sortir en langue française. Dans ce livre aussi richement illustré que documenté, Enzo Barnaba propose un aperçu de ces destins croisés, octroyant un chapitre à chaque personnali­té qui a, un jour, occupé les lieux. Avec une caractéris­tique commune : « La villa était considérée comme une enclave mentonnais­e pour tous les gens qui y ont vécu… »

La tour de garnison

Au commenceme­nt, il n’y avait qu’elle, une tour de garnison pour les Corses. De style militaire génois, elle date en effet du XVIe siècle. « C’était une sorte de caserne pour les douaniers, s’il y avait des contreband­iers on les voyait parfaiteme­nt », glisse Enzo Barnaba. Rappelant que le sel de Camargue à destinatio­n de la plaine du Pô transitait par là. Et que la République de Gênes voulait contrôler.

James Henry Benett

Le gynécologu­e anglais – héritier d’une riche famille de Manchester – achète la tour et les terrains avoisinant­s en 1866. « Il aimait le contact avec la nature et a fait ici le premier jardin d’acclimatat­ion de la région », explique Enzo. Précisant qu’il n’y avait à l’époque que des rochers. Aussi a-t-il dû tout arracher, faire venir de la terre de Corse ainsi que du lac de Garde, et installer un coûteux système hydrauliqu­e. « Les gens de Grimaldi le prenaient pour un fou », sourit l’historien. Trois ans après le début des travaux, un homme politique américain (Cox), qui lui rend visite dans le cadre d’une recherche de régions où le climat est bon en hiver, dira du jardin que c’est le dolce farniente – la belle vie. Avant sa mort, Benett décide de donner la tour et le terrain à la ville de Menton… qui refuse. Elle revient à son neveu, qui la vend à son tour.

Ella Waterman and co

Membre d’une très riche famille propriétai­re de mines aux États-Unis, Ella Waterman vit de ses rentes. C’est pour son fils Saint-Mar qu’elle construit une villa sur le terrain. « Selon elle, il était l’incarnatio­n d’un ange. Elle croyait en la réincarnat­ion », souligne Enzo. Lorsque SaintMar meurt (très jeune), Ella Waterman

refuse de se séparer de son corps, et demande donc à l’enterrer dans le jardin. Les autorités l’y autorisent, dans la mesure où le tombeau est caché dans une grotte. Sa fille Romaine, à l’inverse, écope du rôle du diable. Au point qu’Ella fait tout son possible pour s’en défaire. Romaine est placée dans un orphelinat à Gênes. Mais aussi révoltée que douée pour le dessin, elle part ensuite pour Paris où elle devient une peintre importante de la Rive gauche. Là, elle vit en ménage à trois avec une célèbre danseuse de l’est et l’écrivain Gabriele D’Annunzio. À la mort de sa mère, le domaine est une nouvelle fois vendu.

Sigmund Appenzelle­r

Élève de Koch et de Pasteur, le chimiste juif polonais s’installe à Menton pour l’air marin. « Une fille qu’il aimait beaucoup est morte de tuberculos­e. Il décide alors de faire quelque chose contre cette maladie. » Parmi ses patients célèbres : Sissi. Ce serait l’impératric­e qui lui aurait conseillé Gorbio alors qu’il cherchait le meilleur endroit pour créer une station climatique (le futur centre cardio-respiratoi­re). Marié à Inez Wolf – une jeune veuve, jolie et très riche qui le choisit pour son honnêteté et sa gentilless­e – il achète la villa en 1907. Leur fils, Stan, se fera connaître comme peintre, et héros de l’aviation. « Pendant la guerre, il rallie le général de Gaulle et forme un maquis internatio­nal de 800 personnes ». D’après Enzo Barnaba, le journal d’Inez – qu’il a réussi à se procurer – donne une idée de ce qu’était la Belle Époque. Elle y évoque notamment un somptueux Noël fêté en 1913, en présence de douaniers français et italiens. Dix jours après, ses deux filles se marient avec deux officiers allemands. Et partent en voyage de noces en faisant un signe de la main. « Leur mère analysera par la suite que les couples disaient au revoir à la Belle Époque. Car la guerre éclate peu de temps après… » Finie la période d’insoucianc­e, de folle modernité, et d’amitiés internatio­nales à la villa – qui ne porte pas encore le nom de Voronoff.

Enzo Barnaba présentera son livre (en italien) le 31 juillet dans les jardins de la villa Voronoff, et le 8 août à 18 h à la Società Operaia di Mutuo Soccorso de Grimaldi.

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Des traces des anciens occupants demeurent dans le domaine.
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