Var-Matin (Grand Toulon)

Pouvoir faire ce métier, c’est un cadeau”

- JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

Elle nous salue et s’excuse illico de nous faire porter un masque pendant l’entretien. « Je suis une vieille dame, vous savez. Je dois faire attention. » D’emblée, Liz McComb nous embarquera­it-elle sur une fausse piste ? On dirait bien. À 67 ans, la native de Cleveland, Ohio, est toujours aussi vive, toujours aussi intense. Capable de planter son regard au fond du vôtre pour marteler une idée forte. Puis de répondre à une question en entonnant quelques notes d’un air qui l’inspire. Quand on s’est annoncé à l’entrée du Radisson, où l’on devait la retrouver dans sa chambre au septième étage avec vue mer, le réceptionn­iste nous avait donné le ton. Lui aussi eu droit à son mini-concert privé. « Hier, quand elle est arrivée, elle chantait déjà dans l’ascenseur. » Fille de foi, élevée par une prédicatri­ce et pasteur pentecôtis­te, Liz McComb a conservé la flamme. Après tant de concerts, tant de rencontres hors norme (au hasard, Ray Charles, James Brown, BB King ou John Lee Hooker), elle est toujours aussi heureuse de se retrouver devant un micro. «Lapremière fois où je suis venue en Europe, dans les années soixante-dix, je souriais pendant tout le voyage. Mon visage a failli rester bloqué comme ça ! Je ressens encore la même chose aujourd’hui. Pouvoir faire ce métier, c’est un cadeau », glisse celle qui a pris place sur le trône de « reine du gospel » après la disparitio­n de sa précédente occupante, Mahalia Jackson.

« Comme une gosse »

Ce soir à Nice, Liz McComb donnera son seul concert de l’été. Coronaviru­s oblige, tous ses autres engagement­s se sont évanouis. « Nous, les artistes, on est tristes. J’adore le live, plus que tout le reste. J’aime communique­r avec le public. Tout ça, c’est ma vie ! » Sur la scène du Théâtre de Verdure, la voix de l’Américaine sera appuyée par le Philharmon­ique de Nice, dirigé par le Hongrois

György Ráth. Habile lorsqu’il s’agit de laisser infuser son gospel authentiqu­e et rural dans la soul, le funk, la pop ou même le reggae, Elisabeth a hâte d’y être, pour s’aventurer dans le répertoire de Jerome Kern, Duke Ellington ou George Gershwin. Elle cite d’ailleurs avec enthousias­me le Porgy and Bess de ce dernier, « un opéra écrit pour des voix noires, magnifié par Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. » Liz McComb a déjà goûté à plusieurs reprises à ce mélange de classique et de musique populaire. Avec le Philharmon­ique de Nice, puis les orchestres nationaux de Lyon et Lorraine, elle avait repris de grands standards de la musique américaine, avant de monter son spectacle Symphonic Spiritual Suite. Malgré cela, elle estime être encore novice dans l’exercice. « C’est encore nouveau pour moi, je suis comme une gosse. J’ai envie d’apprendre encore au contact de ces musiciens. » On lui demande comment elle imagine son show niçois. «Jepense que ce sera génial. Nice est connue pour le jazz, j’ai joué plusieurs fois ici. Nous devons être prudents et prendre ce virus au sérieux. Mais même quand les gens sont cachés par leur masque, on peut ressentir quand ils sont heureux ou pas. Peutêtre qu’on ne sera plus là demain, mais on doit être heureux, là, maintenant. »

On quitte un temps l’instant présent pour l’inviter à se replonger dans ses souvenirs. Elle prend plaisir à remonter jusqu’à l’époque de ses premiers pas. « Quand j’étais jeune, j’allais voir ces grands musiciens pour leur demander si je pouvais chanter avec eux. Ils refusaient en me criant dessus. Mon favori, c’était Ray Charles. Il gardait ses distances avec moi. Je parlais de lui nuit et jour à mon ancien manager. Ray ne voulait même pas parler avec moi. Mais il a fini par écouter ma voix et c’était OK. J’ai adoré cette période où je ne connaissai­s pas les règles de l’industrie de la musique. Dans ma tête, personne ne pouvait me dire non. »

« La vie est un combat »

Retour à l’actualité, bien moins réjouissan­te, avec la mort de George Floyd. De retour pour de bon aux États-Unis après avoir longtemps vécu entre l’Amérique du Nord et Paris, Liz McComb a observé d’un oeil attentif les actions du mouvement Black Lives Matter. « La vie des noirs compte AUSSI. Ce mot est très important pour moi. La vie des femmes, des blancs : toutes les vies comptent. En France, vous dites quoi ? Liberté, égalité, fraternité ? Ben voilà ! On sait que ça ne fonctionne pas toujours. Mais il faut se construire avec cette idée. La vie est un combat. Tu dois te battre pour la liberté, pour l’amour aussi. Personne ne te donnera rien. Il n’y a pas d’endroit parfait, à part le paradis. »

J’ai adoré cette période où je ne connaissai­s pas les règles”

Nice Jazz Summer Sessions, du 17 au 21 juillet. Liz McComb et le Philharmon­ique de Nice, ce soir, à 21 h. au Théâtre de Verdure. Tarifs : 22 réduits 40 pour deux personnes, 60 pour quatre personnes (dont deux de moins de 18 ans). Rens. 04.97.13.55.33. et nicejazzfe­stival.fr.

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