Var-Matin (Grand Toulon)

L’autre face du mythe

Pas évident de se glisser dans les pantoufles du charismati­que Raymond Burr, interprète historique de Perry Mason, pourtant Matthew Rhys réussit cet exploit avec brio. Chapeau.

- MATHIEU FAURE mfaure@nicematin.fr Perry Mason. Huit épisodes. Disponible sur OCS.

La lente constructi­on de Perry Mason est à la fois hypnotique et fascinante

Dans notre imaginaire, Perry Mason est un avocat barbu, costaud, qui permet à la grand-mère maternelle de s’amouracher du système judiciaire américain en début d’aprèsmidi et de délaisser ses premières passions comme Derrick et surtout Santa Barbara. Au départ, se cache sous la barbe de Perry Mason le charismati­que Raymond Burr, interprète du personnage entre 1957 et 1966, puis dans les années 1980 jusqu’à sa mort en 1993. Aux USA, Perry Mason est un héros tous supports qui a eu droit à des romans, des films mais aussi des feuilleton­s à la radio. Mais l’avocat imaginé par Erle Stanley Gardner dans ses bouquins a vraiment pris de la hauteur avec Burr. Dans les années 1950, le show télé présenté sur CBS introduit le genre judiciaire sur le petit écran. L’idée est de démocratis­er le fonctionne­ment de la justice américaine. De la rendre accessible et compréhens­ible à tous. Perry Mason, avocat des causes perdues, y glane alors ses galons d’icône du peuple. C’est un héros ordinaire. Mason est tellement collé à la peau de Burr que la série n’a jamais osé renaître de ses cendres après le décès de son interprète phare... jusqu’à ce coup de folie de HBO. En prenant le contre-pied de la narration initiale (un épisode = une intrigue), le Mason de 2020 décide de se lancer dans une mini-série de huit épisodes pour ne traiter qu’une seule intrigue.

True Detective des années trente

Au niveau de l’écriture, on se rapproche de True Detective mixé avec Boardwalk Empire .Ce rythme faussement lent permet de tout installer avec une minutie qui frôle la perfection : les personnage­s, l’intrigue, le cadre, l’atmosphère. D’autant que HBO a pris le pari de filmer la genèse de Perry Mason. Nous voilà en 1932 et Mason n’est pas encore ce ténor du barreau connu de tous. Il n’est qu’un détective privé, vétéran traumatisé de la Première Guerre mondiale et divorcé. Constammen­t sur la brèche, il vivote dans le Los Angeles de la Grande Dépression. Parfois, il est sur le fil du rasoir mais il a cette soif de vérité et de justice au fond de lui qui l’empêche de sombrer. L’idée est d’expliquer comment et pourquoi ce jeune détective va devenir, plus tard, un avocat de renom. Pour ça, il faut un déclic. Une affaire hors norme. Une prise de conscience. Il s’agira donc d’un enlèvement de bébé qui tourne au drame. Autour de ce crime odieux, l’Amérique des années trente et son contexte économique et religieux. C’est au milieu de ça, au sein des forces de l’ordre corrompues comme jamais, que le jeune Perry Mason – joué par le génial Matthew Rhys déjà repéré dans le sous-côté

The Americans – va prendre son envol.

Un casting efficace

Comme souvent avec les séries qui ont pour décor les années trente outre-Atlantique, la corruption et la fragilité de toutes les institutio­ns, y compris la famille, permettent de dépeindre une époque délicate, sans réels repères. Tout semble sombre, triste, écorchée. Avec HBO, la reconstitu­tion de l’ambiance de LA en 1932 n’est pas loin de la perfection. Le moindre détail est pris en compte pour donner à l’ensemble une unité incroyable. Il y a un peu de

Boarwalk Empire ou de Rome dans cette recherche du détail visuel. Mieux, on sent l’inspiratio­n

des grands films de gangsters :

L.A. Confidenti­al, Les Incorrupti­bles, Le Dahlia Noir. Du James Ellroy porté à l’écran et superbemen­t réalisé par deux profession­nels ; Timothy Van Patten, que l’on a déjà vu derrière la caméra sur Boardwalk Empire, The Pacific, Game of Thrones ou Rome, mais aussi Deniz Gamze Ergüven qui, elle, a officié avec brio sur

Handmaid’s Tale ou Kings. Et le casting dans tout ça ? Autour du génial Matthew Rhys, on retrouve John Lithgow mais surtout le duo Tatiana Maslany, tout aussi bluffante que dans Orphan Black, et Chris Chalk que l’on avait vu dans le génial mais douloureux Dans leur regard. Au second plan, des valeurs sûres comme Robert Patrick, Shea Whigham, Eric Lange et Juliet Rylance. Sans doute certains seront gênés par ce rythme de constructi­on assez lent mais il est à la fois hypnotique et fascinant. L’univers religieux de la série va également perturber les plus cartésiens mais il fait partie intégrante de la narration. Au final, on prend un réel plaisir à comprendre et à accompagne­r le jeune Perry Mason vers sa destinée. Là, sous nos yeux, le mythe prend vie. Ou plutôt reprend vie.

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made in HBO.
(DR) On l’avait quitté plus vieux, plus barbu et moins en forme dans les années . Voici le nouveau Perry Mason made in HBO.

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