Le pixel est un matériau artistique ”
Pas besoin d’attendre les douze coups de minuit pour assister à cette douce féerie. Dès 22 heures, par séances de dix minutes, deux édifices emblématiques de Cannes se métamorphosent en puits de lumières. Sous l’effet mapping d’une projection vidéo, le Palais des Festivals devient le Palais des eaux. Soit une plongée abyssale dans les profondeurs sous-marines, où la silhouette d’une sirène cannoise ondule parmi les ondes qui se propagent jusque sur les marches au tapis rouge. Le Grand bleu se joue du grand noir, pour une odyssée homérique à travers la création numérique. Spectateurs médusés face à la soudaine remontée de méduses fluorescentes, et autres créatures aussi spectaculaires que tentaculaires... Une immersion visuelle en « trempe-l’oeil », où la composition des sons s’harmonise à cette exploration des fonds.
Avion ovni et sono techno
Plus haut dans la vieille ville du Suquet, changement de décor, et de thématique. Depuis la mer, la cité des festivals s’élève vers le ciel, et l’église NotreDame d’Espérance invite à l’élévation spirituelle, tout autant qu’au voyage interstellaire. Murs de pierres pour effet de lumières et le clocher, soudain paré d’une horlogerie évanescente, est alors hors du temps. Étoiles filantes entre chants grégoriens et sono techno, retour vers le futur entre géométries modernes et architecture classique. Un avion ovni, et la messe est dite, au nom du père, du fils et du Saint-Exupéry... Qui se cachent derrière ces éblouissantes façades aux reflets virtuels ? Jérémie Bellot, 32 ans, dont les rêves imagés s’harmonisent avec les compositions de son compère Ena-Eno (soit Arnaud Corbellari). Le premier a d’abord dessiné des croquis lors de ses études d’archi, avant que son goût du cinéma ne le projette vers le mapping en 3D. « Ma métamorphose d’architecte passe par l’image, en utilisant le pixel comme matériau à part entière. Je me considère comme un artiste visuel en fait » . Un artiste-tech qui a redécouvert Cannes à l’occasion de ce projet, alors que sous d’autres aspects, la ville lui était déjà familière. « J’avais notamment fait un show lors d’un live au Gotha en 2016, où se produisait mon ami DJ Michaël Canitrot. Mais à l’époque, je n’avais même pas pris le temps de monter jusqu’au château de la Castre, c’est dire ! », rigole l’intéressé. Quant à Arnaud, après avoir été « viré de toutes les disciplines au Conservatoire », c’est avec la MAO (musique assistée par ordinateur) qu’il a trouvé son tempo. Depuis plusieurs années, le duo a ainsi « mappé » une quarantaine de bâtiments, dont la cathédrale de Strasbourg ou bientôt l’Arc de triomphe à Paris. Villes de lumières...