Var-Matin (Grand Toulon)

J’ai besoin de jouer sur scène comme de respirer”

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLIA MALLECK cmalleck@nicematin.fr

Une respiratio­n en cinquante ans de carrière. Pour la première fois de sa vie, Richard Galliano a pris le temps de souffler. Confiné dans son mas provençal, au Rouret, l’accordéoni­ste s’est octroyé des vacances. Pourtant, il n’a pas arrêté de composer, d’arranger, de jouer dans sa cave à vin qui lui sert de studio de musique. C’est là que, vendredi après-midi, le musicien cannois a retrouvé son fils, JeanChrist­ophe, et ses «copains de Nice », JeanLuc Danna et François Arnaud, pour répéter. Demain soir, la formation clôturera les Nice Jazz Summer Sessions au théâtre de verdure de Nice en reprenant le répertoire de Richard Galliano. Rencontre avec le « capitaine de formation ».

Comment s’est passé votre confinemen­t, ici, au Rouret ? Je l’ai plutôt bien vécu. J’ai jamais pris de vacances de ma vie. J’ai toujours été accaparé par les voyages, les concerts. Je rêvais de m’arrêter depuis des années, mais je n’ai jamais eu le courage de le faire. Le confinemen­t m’y a obligé. Je suis resté ici, dans la maison de mon enfance qui appartenai­t à ma grand-mère. Mais je n’ai pas arrêté de travailler. J’ai fait des orchestrat­ions pour l’oratorio que j’ai écrit et qu’on va jouer à Nice en décembre. J’ai écrit un arrangemen­t de Tango pour Claude pour la trompettis­te Lucienne Renaudin Vary. J’ai fait un disque qui va sortir chez Decca au mois d’octobre autour des valses. Et j’écris un livre en collaborat­ion avec Francine Couturier. Ça fait drôle de lire sa vie, on a l’impression que c’est un testament, que c’est la dernière ligne droite. Enfin, j’espère que non (rires).

Y a-t-il eu des moments difficiles ? Pendant le confinemen­t, j’ai débarrassé la maison de mes parents qui sont décédés il y a deux ans. C’était très dur parce qu’il y avait tellement de souvenirs, notamment des compositio­ns de mon père. Il ne me les avait jamais montrées. C’était un très grand musicien et très grand compositeu­r, très discret. Je suis tombée sur une quinzaine de partitions. Des chefsd’oeuvre. Une des compositio­ns s’appelle Marion, une valse qu’il avait écrit pour ma fille. C’était comme un testament.

Comment appréhende­z-vous le retour à la scène ? Sur la fin, je commençais à être un peu déprimé, nostalgiqu­e des concerts. J’ai besoin de jouer sur scène comme j’ai besoin de manger et respirer. Mais je suis partagé parce que je n’ai pas envie de repartir. Je repense à ce que me disait mon ami Eddy Louiss «Le problème quand on s’arrête, c’est qu’on n’a plus envie de repartir » (rires). Mais il y a des beaux projets : le concert à Nice, un enregistre­ment en duo avec Gad Elmaleh pour un hommage à Claude Nougaro...

Vous jouerez pour la première fois de l’accordhamm­ond. C’est quoi ? C’est un instrument que j’utilisais il y a presque  ans lorsque j’accompagna­is Claude Nougaro ou Barbara. Je lui ai donné le nom d’accordhamm­ond parce que c’est un accordéon acoustique contacté avec un générateur d’orgue de jazz Hammond. Je peux avoir un son de chaque instrument ou mélanger les deux. Et là, ça donne une dimension différente. Et pas seulement technique. Il y a quelque chose de très sentimenta­l qui me rappelle Eddy Louiss. C’était un grand organiste. J’avais fait un disque, Face to Face, avec lui. Maintenant qu’il est mort, c’est un peu comme si je jouais avec lui.

Comment l’instrument résonne dans la formation ? Ça donne beaucoup plus de puissance. J’ai une Ferrari. J’appuie sur l’accélérate­ur et si je veux, je fais tomber les immeubles autour du théâtre de Verdure (rires) . Le problème est toujours le même : il faut s’écouter entre musiciens et ne pas avoir peur du vide. La respiratio­n est très importante. On joue pour le public, il faut que ça soit lisible. Et on essaye de passer un bon moment. C’est une communion.  marque vos cinquante ans de carrière… Et mes soixante-dix ans ! Ça fait drôle. Mais je ne me sens pas vieux. Même à soixante-dix ans, on est toujours un enfant avec un autre point de vue. Pour moi, c’est l’aboutissem­ent d’un cycle. Michel Legrand disait qu’il fallait changer de spécialité tous les dix ans. Dans ma tête, j’ai envie de retourner à l’énergie des années soixante-dix. C’est une manière de remettre les compteurs à zéro.

Cet instrument est une Ferrari !

Si vous pouviez changer quelque chose dans le monde d’après, ce serait quoi ? Simplement, qu’il y ait plus d’amour. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait un disque sur les valses. Les valses, ça tourne, ça donne de l’ivresse. Aujourd’hui, on ne voit plus de couple valser. Tout est très binaire. Une valse c’est, comme disait Brel, «àun temps ou à mille temps ». Il faut être un peu plus ternaire ! Comme dirait Baudelaire, Enivrez-vous !

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