Var-Matin (Grand Toulon)

LA MÉTHODE CASTEX

La sécurité, une priorité pour le Premier ministre Son appel à la responsabi­lité des Français

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE MAGGIO pmaggio@nicematin.fr

Chacun doit se dire qu’il peut être utile”

Peut-on se couvrir le visage pour respecter les gestes barrières sans avancer masqué ? Jean Castex le promet : il parle sans tabou. De tout. De sa priorité, la justice. Des Français, qu’il veut embarquer davantage dans la prise de décision. Pourquoi pas en les associant « par tirage au sort » aux concertati­ons. Son accent – « Quel accent ? » – roule et peaufine le profil de « maire de Matignon » qu’il veut incarner. Un Premier ministre des territoire­s, du « petit », qu’il n’oppose pas à l’Europe, bien utile, si on le croit, par les temps qui courent. Surtout, il veut convaincre les Français qu’il n’avance pas à la boussole mais selon sa propre méthode. Qu’il détaille, dans cette interview exclusive réalisée hier à Nice, la première depuis son arrivée, à un média régional.

Monsieur le Premier ministre, trois semaines après votre nomination, comment allez-vous ? Est-ce que vous tenez le choc ?

Je vais fort bien ! Je suis à la fois passionné par ma mission, concentré sur mes responsabi­lités et tourné vers l’action. Je ne me pose pas de questions sur moi-même. J’essaye d’abord d’agir. J’ai commencé par me présenter aux Françaises et aux Français qui ne me connaissai­ent pas et ai essayé de faire entendre le message que les circonstan­ces présentes appellent : c’est une crise et dans une crise, il faut agir, il faut agir vite, et le plus possible dans l’unité.

À votre nomination certains vous ont qualifié de « supercolla­borateur » du Président. L’avez-vous pris pour un compliment ?

Je suis Premier ministre, dans le cadre des institutio­ns de la Ve République que je n’ai pas inventées et qui continuero­nt après moi : le président de la République fixe les orientatio­ns générales et le Premier ministre, chef de la majorité parlementa­ire, conduit la politique du gouverneme­nt. En revanche, je pense que le mot collaborat­eur n’est pas du tout adapté ni à mon tempéramen­t ni à ma fonction. J’ai été collaborat­eur de ministres et même d’un président de la République [secrétaire général adjoint à l’Elysée, sous Nicolas Sarkozy, Ndlr]. Aujourd’hui, je suis un personnage politique, engagé dans l’action.

Votre réputation, c’est de savoir négocier. Pourtant, à l’issue de votre premier tour de table sur la réforme de l’assurance chômage, FO, la CGT, ont estimé que le projet de décret ne reflétait pas exactement ce que vous vous étiez dit. Avez-vous le contrôle total sur les décisions ou le partagez-vous avec les hauts fonctionna­ires ?

La conférence sur le dialogue social s’est, de l’avis général, très bien passée. Vous mettez l’accent sur un petit sujet, à propos de la date à partir de laquelle certaines dispositio­ns de cette réforme, déjà entrées en vigueur, ne s’appliquaie­nt plus. Ce sujet n’a même pas été abordé ce jour-là. Je ne crois pas que ce point mineur invalide en quoi que ce soit le cadre général du dialogue social qui s’est instauré ce jour-là.

Négocier, aller sur le terrain si l’on veut définir votre méthode, quel ingrédient ajouteriez-vous ?

Parce que je suis un homme d’action, je pense que l’on ne perd jamais de temps à dialoguer, à rechercher les voies du consensus. Alors que, souvent, on oppose ces deux notions : discuter serait de la perte de temps alors qu’agir serait synonyme de rapidité et permettrai­t d’imposer ses vues. Mon expérience personnell­e, profession­nelle, politique, m’a amené à forger la conviction qu’il faut toujours rechercher à travailler avec les autres. D’autre part, il faut se fixer des objectifs que l’on est capable d’atteindre. Enfin, il faut veiller à la mise en oeuvre, à l’impact sur la vie quotidienn­e de nos concitoyen­s. C’est peut-être de la déformatio­n profession­nelle du maire que j’ai été si longtemps, mais j’estime que c’est une question de bon sens.

Sur quels résultats voulez-vous que les Français vous jugent ?

Ils nous jugeront sur notre capacité à les protéger des crises qui touchent notre pays, à savoir les fédérer, à montrer que le gouverneme­nt sait réunir un maximum de forces pour y faire face. Ils nous jugeront aussi, c’est le message du président de la République, sur notre capacité à faire évoluer le pays. Il ne faut pas que l’on joue en défense. Le fait, dans le plan de relance, de faire fabriquer en France des production­s qui s’étaient délocalisé­es au fil des années à l’étranger, c’est du concret. La transition écologique, autre exemple, est l’un de ces leviers de transforma­tion. Sur ce sujet comme sur tous les autres, mon ambition est d’impliquer, de responsabi­liser les Français. Ma méthode est la suivante : sur un territoire donné, à Nice, à Toulon, dans l’arrière-pays, il s’agit de réunir autour d’une même table les élus, les partenaire­s sociaux, les associatif­s, pourquoi pas des citoyens tirés au sort, je pense en particulie­r aux jeunes, autour des autorités locales, et se poser

ensemble les questions concrètes : « Combien avons-nous sur ce territoire de pistes cyclables, de logements, de passoires thermiques, de toitures équipées de photovolta­ïque ?

», « comment les producteur­s locaux écoulent-ils sur place leur production ? », etc. Ils feraient un état des lieux et se diraient : « Fin , il faudrait que l’on en soit là ». L’État aiderait, mettrait de l’argent quand c’est nécessaire, dans le cadre du plan de relance qui comportera une forte dimension écologique. Et, ainsi, pour tous les sujets. Si j’annonce le plan depuis Matignon, les Français seront incrédules, comme ils le sont vis-à-vis de tout de ce qui

Mettre le paquet sur la justice”

vient d’en haut. Alors que si je le fais faire par les territoire­s, on peut avoir de l’espoir.

Vous tardez à compléter votre équipe en nommant les secrétaire­s d’État : auriez-vous du mal à en recruter ?

Pas du tout ! Non, les secrétaire­s d’État sont nommés par le Président sur propositio­n du Premier ministre. Il est vrai que cela peut paraître long, mais les cinq jours du Conseil européen, qui se sont traduits par une belle réussite pour notre pays, ont décalé l’annonce. Il faut les défalquer de ce délai [sourire]. Mais ça va venir rapidement.

Des malfaiteur­s qui règlent leurs comptes à coups de feu en plein jour et en pleine rue, c’est devenu presque banal. Pourquoi vous focaliser ainsi, en vous déplaçant personnell­ement sur ce qui s’est passé à Nice ?

La protection des Français est au coeur de mes préoccupat­ions : protéger les Français, c’est assurer la pérennité de notre modèle social mais aussi tout simplement assurer leur sécurité. Je me suis déplacé en Seine-Saint-Denis, à Dijon, aujourd’hui, je suis à Nice. Quand des gens veulent par toutes formes de violences, s’accaparer un quartier soit au nom d’idées, de religion, de trafics – peu importe la cause –, qu’ils veulent se séparer de la République ou créer une zone de non-droit, il est de l’impérieux devoir de l’État de remettre tout cela à sa juste place. Avec tous les acteurs qui y concourent. La sécurité est une affaire collective. Si je suis venu ici, c’est non seulement pour dénoncer les faits inadmissib­les qui s’y sont produits, mais aussi pour souligner la magnifique coopératio­n entre l’État, ses différents services, la Ville, les bailleurs sociaux. Vous savez, il arrive que des faits se produisent parce que nous mettons notre nez là où certains ne souhaitera­ient pas qu’il fût mis. La République doit être partout chez elle.

Vous avez annoncé à Nice qu’une expériment­ation allait y être menée afin de tester des prérogativ­es élargies pour la police municipale. La sécurité relève pourtant du domaine exclusif de l’État.

Non ! Bien sûr, l’État est le premier responsabl­e. Mais pour le reste, c’est l’affaire de la nation, c’est l’affaire de nous tous. Partout il y a dans ce pays des dispositif­s « Voisins vigilants », des délégués de quartier, un éducateur de rue qui fait de la prévention, concourt à la sécurité publique... Et le maire, que j’ai été pendant de longues années, est aussi un acteur de sécurité de premier plan. L’État centralise, coordonne, mais il sera aussi jugé à sa capacité à fédérer l’ensemble. Il y a, en revanche, un service public pour lequel l’État est l’unique dépositair­e, c’est la justice. Or, ce que ressentent nos concitoyen­s, ce que me disent les forces de sécurité, c’est : « Nous faisons notre travail, mais pour certaines personnes que nous interpello­ns, les suites pénales tardent à venir, le jugement est très lointain, on les revoit rapidement en circulatio­n ».

Les habitants que vous avez croisés aux Moulins vous l’ont d’ailleurs rappelé… Ceux de Nice comme on me le disait à Dijon et

comme je l’ai constaté à Prades ! La mauvaise solution serait de s’en prendre à l’autorité judiciaire alors que c’est l’État le responsabl­e. Tous les chiffres sont sur la table : il y a un nombre de magistrats rapporté au nombre d’habitants, ou de faits délictueux, bien moindre qu’en Italie ou en Allemagne. C’est un vrai problème et c’est une de mes priorités, en soutien au garde des Sceaux, Éric DupondMore­tti. J’ai annoncé, ce samedi, des renforceme­nts des effectifs de police nationale à Nice, ce qui était nécessaire, mais j’ai le sentiment que si je ne mets pas le paquet sur le service public de la justice, on n’aura pas répondu aux préoccupat­ions de nos concitoyen­s dans la durée. Ma première décision a donc été de créer des moyens supplément­aires pour la justice, au-delà de ce que le budget  avait prévu. Et je ferai pareil en  dans la loi de finances. Nous allons nous servir, comme nous l’avons fait pour l’hôtel des polices de Nice, du plan de relance. Le temps relatif que l’on reste Premier ministre, il faut à tout prix donner une impulsion, se fixer des priorités, savoir que l’on ne pourra pas tout faire mais se demander : « Où est l’essentiel ? » Et c’est le cas, concernant la justice. Je n’oublie pas évidemment que je suis à Nice où il s’est passé des choses d’une gravité hors du commun. Je dis aux Françaises et aux Français : la République a des ennemis ! Des ennemis organisés, structurés. Dans les quartiers, les gens en ont assez que  ou  % terrorisen­t l’immense majorité de la population qui n’aspire qu’à vivre normalemen­t. Les gens savent que la crise est mondiale, mais sur l’autorité, la laïcité, sur les questions républicai­nes, la responsabi­lité, c’est celle de l’État. Si nous disions aux Français que l’on va tout régler du jour au lendemain, ils n’y croiraient pas et ils auraient raison. Ce qu’il faut, c’est afficher notre déterminat­ion sans faille, notre unité, et savoir allouer les moyens dont nous disposons et les priorités, là où il faut les mettre.

D’autres villes comme Toulon, connaissen­t des situations préoccupan­tes en matière de règlements de comptes. L’État aura-t-il la même politique pour tous et pour tous les territoire­s ?

Je suis pour des solutions adaptées, différenci­ées. Le maire de Nice dit qu’il peut créer des policiers municipaux en expliquant qu’il leur faut des prérogativ­es élargies. Travaillon­s comme cela, en synergie ! Faisons confiance aux territoire­s. Certains, au sein de l’État, trouvent que je prononce trop souvent ce mot. J’estime au contraire ne pas le dire assez souvent. Lorsque j’étais en charge du déconfinem­ent, j’ai promu le couple maire-préfet de départemen­t, non pas de grandes régions. Parce que la vie quotidienn­e, c’est à l’échelon local qu’elle se fait. Et il faut savoir faire du surmesure. La République est unique, mais quand elle reconnaîtr­a que la diversité de ses territoire­s est une chance, nous progresser­ons collective­ment. Oui, la diversité est une force, elle contribue à l’unité de la nation, sauf lorsque l’on se sert de cette diversité pour se séparer d’elle et pour faire valoir par la violence des velléités qui ne se dissolvent pas dans le pacte républicai­n. Dans ce cas, cela s’appelle le communauta­risme.

Contre ces ennemis de la République plus de police, plus de justice. Il faudrait aussi plus d’emplois.

Évidemment. C’est le grand sujet de la rentrée. Le travail et l’activité sont également des valeurs fondamenta­les et permanente­s au coeur du pacte républicai­n. Elles sont menacées quand une crise comme celle-ci vient diminuer le nombre d’emplois disponible­s. Le gouverneme­nt, à la demande du chef de l’État, entreprend toutes les actions possibles pour l’emploi. Il a commencé à le faire avant mon arrivée, pour éviter que des pans entiers de notre économie s’écroulent. Nous sommes, aujourd’hui, dans un contexte nouveau : la crise sanitaire est toujours présente, elle est pénalisant­e pour l’économie. J’ai une pensée particuliè­re dans cette région pour tous les profession­nels du tourisme, de la culture, très impactés. Sont-ils suffisamme­nt aidés ?

La protection des Français est au coeur de mes préoccupat­ions”

Nous avons mis en place une série de dispositif­s importants. J’ai demandé qu’on les évalue. Je vais prochainem­ent me déplacer sur le terrain, sur le thème de l’économie touristiqu­e – je ne prendrai pas beaucoup de vacances, mais je ne suis pas là pour ça ! – afin d’interroger les profession­nels et répondre à leurs besoins. Vous savez, à la rentrée, nous risquons d’avoir des plans sociaux qui risquent de s’amplifier. Lorsque j’étais collaborat­eur d’un Président lors de la crise de -, c’était déjà très dur. Nous avions alors pris les dispositio­ns nécessaire­s. Là où nous avons progressé, c’est que l’Europe, plus que la fois précédente, considère que la gestion de la crise la concerne. La banque centrale a une position beaucoup plus accommodan­te. Elle injecte de l’argent dans l’économie, elle veille à ce que les taux d’intérêt restent les plus bas possible. Enfin, il y a cet accord historique signé en début de semaine grâce au couple franco-allemand. Un tiers de notre plan sera pris en charge par l’Union européenne : c’est inédit. La fois précédente, sans l’Europe, après la crise, il y a eu l’austérité et les hausses d’impôts. Et cette fois, pas d’austérité ni de hausse d’impôts, grâce à l’argent de l’Europe ?

La vie quotidienn­e c’est à l’échelon local qu’elle se fait”

Et de l’argent de la France, et des Français ! C’est pour cela qu’il faut recréer la confiance. Soyons clairs : nous ne souhaitons pas augmenter les impôts. Après l’avoir fait avec les partenaire­s sociaux, je vais revoir, un à un, les représenta­nts des collectivi­tés territoria­les, à commencer par les régions. Mon objectif politique est clair. Nous sommes en crise : il faut que le maximum de gens de bonne volonté assument leurs responsabi­lités ensemble. Les Français ne nous pardonnera­ient pas que, dans ce contexte difficile, nous apparaissi­ons divisés. Et le gouverneme­nt doit donner le « la » ! Je m’emploie à recréer un climat propice à la confiance.

De la confiance, pour quoi faire ?

Pour éviter les drames liés au chômage et surtout pour que la croissance reparte. Ce plan de relance ne servira pas seulement à jouer les sapeurs-pompiers. Nous devons aussi investir et reconstrui­re.

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(Photos Sébastien Botella) Jean Castex « s’emploie à recréer un climat propice à la confiance ».
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