Var-Matin (Grand Toulon)

Si le merveilleu­x est déconnecté du réel, on s’en fout”

- PROPOS RECUEILLIS PAR AMÉLIE MAURETTE amaurette@nicematin.fr

De passage à Beaulieu-surMer pour la projection de son film d’animation Jack et la mécanique du coeur (2013), mardi soir, et de son long-métrage Une sirène à Paris, ce soir, Mathias Malzieu est ravi de prendre un peu le soleil de la Côte. Chemise à fleurs et chapeau de paille, il arrive tout sourire au bras de sa belle amoureuse, l’artiste Daria Nelson. Après une session paddle en baie des fourmis et peut-être un peu de bateau, s’il a le temps, le chanteur du groupe Dionysos donne rendezvous dans la petite chapelle Sancta Maria de Olivo où est exposé le travail de la Berlugane Flora Doin, dont d’adorables statuettes que l’on peut justement voir dans Une sirène à Paris. Ravi, l’elfe rockeur, écrivain et réalisateu­r l’est aussi parce qu’il retrouve le public. Et qu’il donne un second souffle à ce joli film sorti en salles trois jours avant la fermeture des cinémas.

Outre cette projection à Beaulieu, vous avez aussi présenté le film ailleurs en France. Il fallait le faire revivre ? Ah oui, si j’avais pu faire ça tout l’été ! Sans parler de refaire des entrées, juste pour le faire vivre. Ce film a été bien endommagé par le Covid alors que c’est quatre ans de travail. J’ai été accueilli à Valence, où c’est un peu chez moi, à Nîmes, ici, par des gens géniaux. On fait des films pour ça. J’ai eu une bonne surprise, il vient de rentrer troisième du box-office en Corée ! Je prends le plaisir là où il est parce que le confinemen­t a été un peu dur. C’était ce film trois jours en salles, l’album en même temps une semaine dans les bacs, la tournée reportée… Donc ces moments sont précieux.

Vous profitez du ralentisse­ment ? Oui. Un livre m’a beaucoup marqué, Hagakure ,des aphorismes sur l’esprit des samouraïs… L’un disait : “Quand il pleut ça ne sert à rien de courir, vous êtes déjà mouillé !” Là, c’est pareil. Au lieu de râler, passé le choc, je prends ce qu’il y a.

Vous avez écrit d’ailleurs, pendant le confinemen­t ? Oui, après une semaine cataclysmi­que où je n’ai rien pu faire. Parce que juste avant je finissais une année à quatorze heures de boulot par jour. Des concerts, la promo du livre Une sirène à Paris, puis celle de l’album, le film. En même temps, j’ai aussi ouvert Les Trois Baudets, café-théâtre parisien dont je suis devenu le directeur artistique. Frénésie totale, c’est le complexe du survivant… [Mathias

Malzieu a été gravement malade en , ce qu’il a raconté dans le livre Journal d’un vampire en pyjama, ndlr]. Donc après une semaine d’adaptation, j’ai écrit. J’ai écrit le journal de bord du Paris-Düsseldorf à vélo, périple que j’avais fait pour rencontrer la donneuse de la greffe qui m’a sauvé. Ça devrait être ajouté à la ressortie en Poche du Journal d’un vampire en pyjama… J’aime bien l’idée, comme Walt Whitman qui a révisé son Feuilles d’herbe ,un de mes livres préférés.

Des poèmes aussi, un recueil devrait sortir ? Les éditions de l’Iconoclast­e ont ouvert une section poésie et en ont donné la direction à Cécile Coulon, une jeune poétesse qui a eu plusieurs prix et qui m’a proposé d’y participer. Au départ, j’écrivais surtout des poèmes à Daria, alors j’ai dit : “Tiens, vu qu’elle est aussi artiste, ce serait bien si ce n’était pas seulement la muse et qu’elle les illustrait…” On est partis sur cet objet, à quatre mains, ça va s’appeler Le Dérèglemen­t joyeux de la métrique amoureuse ! J’y serai visité par le fantôme de Boris Vian qui me donne des cours pour vivre avec une fée à la maison…

Fantastiqu­e et merveilleu­x, un univers qui vous va bien ? Oui, même mon récit du ParisDüsse­ldorf c’est du merveilleu­x ! Il n’y a pas de sirène ni de lutin, tout m’est arrivé, mais c’est dans la façon de le raconter.

Le merveilleu­x chez vous, permet d’aborder des choses concrètes, la maladie, le deuil… Exactement, il n’a de sens que pour ça. Si le merveilleu­x est déconnecté du réel, c’est une bulle de savon, c’est de la déco, on s’en fout !

Vous réutilisez des personnage­s au fil de vos disques, romans, films. Êtes-vous en train de créer une oeuvre que vous aviez déjà entière en tête dès les débuts de Dionysos ? Je continue de la construire et d’improviser, mais je n’avais pas tout en tête dès le départ. Il y a des liens oui, des ramificati­ons… Ça me passionne. Créer une oeuvre, ça serait prétentieu­x, mais je veux créer un monde. Un jeu de piste, une chasse au trésor. Quand les auditeurs, lecteurs ou spectateur­s réagissent, c’est magique. Je balance des bouteilles à la mer, des fois plein de gens reviennent avec, des fois non !

Dans Une sirène à Paris, le héros est « surprisier », un terme inventé qui veut dire « résistant poétique »… C’est ce que vous êtes ? En tout cas c’est ce que j’ai envie d’être ! Parce que je crois qu’on est dans un moment compliqué, outre le Covid. Les populismes qui montent, le cynisme permanent, les réseaux sociaux, que j’aime utiliser d’ailleurs mais dont on retient surtout le négatif, parce que l’humain est attiré par le sensationn­el… On formate les gens, on sacrifie les identités. On est presque dans un moment réactionna­ire et pudibond. Moi, je crois qu’un pays va bien quand le peuple est multiple. Alors je ne dis pas “faites comme moi”, surtout pas, je dis “faites comme vous” ! C’est ça que je trouve stimulant dans une société humaine. Être un surprisier, c’est l’inverse de ça : ce n’est dire ni “la chloroquin­e, ça va sauver tout le monde” ni “oh non lui, ce n’est qu’un con de Marseille”… C’est dire qu’on ne sait pas, prendre un peu de recul, se prendre moins au sérieux !

Frénésie totale, c’est le complexe du survivant »

. Cesoirà20 h. Au cinéma de Beaulieu-sur-Mer. Tarif : 8 Réservatio­ns au 04.93.87.84.38.

Ciné-rencontre

Exposition de Flora Doin.

Jusqu’au 16 août. Tous les jours de 14 h 30 à 20 h. Chapelle Sancta Maria de Olivo à Beaulieu. Gratuit.

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