Var-Matin (Grand Toulon)

« Je vends cent napoléons le poil »

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et pincée, férue de l’imitation de Jésus-Christ, qu’elle ne copiait en rien, et grenouille de bénitier. Bertille, entrée au service de Nina sous le commandeme­nt de ses parents, faisait office de préceptric­e et lui enseignait à domicile tout ce qu’une jeune fille doit savoir pour porter le deuil sans décès. Sans qu’on puisse l’accuser au premier chef de semeuse de maladie, elle ne détendait pas l’atmosphère et aggravait vraisembla­blement l’état de nervosité de Nina. La pérégrinat­ion vers le sud de la Corse ne se déroula pas sans heurts, tant Bertille fronçait les sourcils aux autochtone­s qui lui rendaient bien ces tristes sourires en grimaçant meilleur qu’elle. De Bonifacio, elles s’embarquère­nt sur une barque familiale de pêcheurs, comptant pour tout équipage le vieux père et le fils de vingt-cinq ans. Le père naviguait vers Caprera tandis que le fils assis à côté de Bertille la dévorait des yeux. Lui le brun méditerran­éen aux cheveux de jais, aux yeux de corbeau, au teint basané, se sentait défaillir face à la femme à la peau laiteuse, aux yeux azur, à la chevelure dorée. Il lui caressa la main, elle frémit ; il souffla sur son cou, elle frissonna ; il la couvrit de doux baisers, elle se figea ; puis, en un instant de répit de ces amoureux assauts, Bertille confia à Nina : « Soit courageuse ma fille, nous sommes sur un vaisseau barbaresqu­e, nous voilà enlevées et bientôt nous serons vendues comme esclaves au marché d’Alger ou de Constantin­ople. Ah misère, pauvre de nous, Dieu nous prenne en pitié. Nous serons fouettées, violées, mariées et sans doute séparées à jamais. Ah non, il recommence le lubrique ! »

Antonio, le jeune pêcheur, l’embrassa voluptueus­ement sur la bouche, l’enlaça et lui fit éprouver son désir. Bertille sentit son sang bouillir et ses sens s’exalter et lorsqu’il la demanda en mariage, elle perdit connaissan­ce. Elle se réveilla sur le lit d’une taverne de Caprera, puis s’inquiéta immédiatem­ent de l’absence de Nina. « Où est-elle ? – Elle est chez Garibaldi et toi tu as perdu connaissan­ce alors j’ai loué cette petite chambre pour nous deux. – Nous deux, non je veux partir. – Jamais je ne laisserai repartir une telle beauté, je te veux pour toujours et puisque j’ai commis grand péché, je dois le réparer en t’épousant. – Quel péché ? – Nous avons eu long baiser et ce n’est pas fini. » À ces mots, Antonio déchaîna un orage de passion sous lequel Bertille se noya en des sensations inédites. Elle fut déshabillé­e sous les mains du désir, elle succomba, perdant ainsi les illusions de la vertu. Tandis qu’elle s’adonnait à ces plaisirs intenses dont elle ne subodorait pas l’existence, Nina attendait dans un vestibule de la maison blanche édifiée par Garibaldi sur son vaste terrain où il vivait autrefois dans une simple bicoque. Francesca Armosino se présenta, accepta la lettre pour son époux et alla la lui remettre. « Encore une de tes cousines, mais combien en as-tu ?, explosa Garibaldi en recevant la missive. – Je l’ignore mon cher amour, mais cette jeune innocente a fait un long voyage pour que tu la traites. – Allons bon, je suis un rebouteux maintenant. Je devrais m’adonner à l’alchimie et me mettre en quête de la pierre philosopha­le. – Tu as guéri l’Italie, tu peux bien soigner une jeune niçoise. – Hum, bon montre-moi cette lettre. Ah oui, je vois ce que c’est, hum, c’est entendu, pourquoi pas puisque personne n’a rien à perdre à cette farce. Envoie-la moi donc cette mignonne. – La voici, je vous laisse ensemble, annonce Francesca en introduisa­nt Nina. – Bonjour Monsieur Garibaldi. – Bonjour ma petiote, sais-tu quoi faire ? – Oui. – Tu sais, je n’ai jamais fait ça pour personne. – Vous êtes un saint homme, je prierai pour vous jusqu’à mon dernier souffle. – Approche, touche ma barbe et prononce la formule. – Je suis guérie, articule Nina en empoignant la barbe de Garibaldi. – Tiens, je vais faire mieux, je te coupe un petit morceau de ma barbe et tu le conservera­s près de toi. Ainsi ton mal ne reviendra plus. – Oh, vous êtes si bon. – Comment te sens-tu, trembles-tu encore ? – Non, je ne sens plus rien, je ne vibre plus, la douleur est partie. C’est un miracle, oh c’est un miracle. Quand on va savoir ça à Nice ! – On ne le saura pas, je ne veux pas que le monde entier débarque ici. C’est un secret, si tu dis mot ta maladie reviendra. Est-ce clair ? – Comme l’eau du Paillon. – L’eau du Paillon quand personne n’y a jeté ordures est bien claire, sinon elle est impure. – Merci cher saint, merci, oh vous ressemblez à saint Pierre. – Quand as-tu vu saint Pierre pour la dernière fois pour y reconnaîtr­e en moi son portrait ? – Très souvent dans mes rêves, encore la nuit dernière. – Bien, bien, très bien, salue-le pour moi la prochaine fois. – Mademoisel­le l’entretien est terminée, Garibaldi doit se reposer » ,interrompt Francesca en souriant de reconnaiss­ance à son époux. Au retour, Bertille et Antonio, auteurs de nombreux péchés en leur chambre d’auberge, se marièrent à l’église Sainte-Marie-Majeure de Bonifacio. La pimbêche se métamorpho­sa en cigale d’une gaîté appréciée des Corses qui ne reconnuren­t pas en elle la fille austère de la semaine passée. Nina fut raccompagn­ée par le couple jusqu’à Nice où elle fut accueillie en enfant prodigue par ses parents qui organisère­nt en leurs locaux sucrés une fête grandiose pour célébrer le rétablisse­ment de leur fille. On y invita le tout Nice, Nina convoitée méprisa tous les prétendant­s sauf un homme jeune de vingt-deux ans au visage enrobé d’une barbe fournie qu’elle toucha discrèteme­nt. Depuis sa guérison, son type d’homme se trouvait parmi les barbus. Cinq ans plus tard elle l’épousa. À la fête, la mère Pertinence lui demanda ce que Garibaldi lui avait offert, et elle avoua. La bonne mère exigea alors la moitié du bout de barbe, ce que Nina lui accorda. Le lendemain, Pertinence se rendit chez le docteur Lupion. « Eh bien mon gaillard, ton soleil n’a pas soigné Nina, mais autre chose. – Oui, elle est radieuse, quel bonheur ! – J’ai le médicament responsabl­e du miracle, lui révéla Pertinence en expliquant toute l’affaire. – Ainsi tu as fait croire à cette gamine au pouvoir de la barbe de Garibaldi, et elle a été guérie par autosugges­tion. – Je n’y connais rien en vocabulair­e de sciences, mais tout ce que je sais c’est que ça a marché. Sache donc que si ton soleil de Nice ne guérit pas les cas les plus récalcitra­nts, la barbe de Garibaldi fera l’affaire et que je vends cent napoléons le poil. Libre à toi de le vendre le triple à tes nigauds de patients. Qu’en penses-tu ? - Je pense que nous sommes tous deux au seuil d’une longue expériment­ation médicale. »

Antonio lui fit éprouver son désir «Tuasguéri l’Italie, tu peux bien soigner une jeune Niçoise »

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