Var-Matin (Grand Toulon)

Caroline Laurent raconte le destin brisé des Chagossien­s

Son roman, Rivage de la colère, concourt au Prix des lecteurs du Var 2020, dans la catégorie adulte. Une plongée émouvante et personnell­e au coeur de l’histoire tragique de Diego Garcia

- T. G.

Comment avez-vous retracé l’histoire des Chagossien­s ? C’est d’abord les souvenirs de ma mère, qui a quitté l’archipel au moment où Maurice accède à l’indépendan­ce. Je me suis mis en relation avec Olivier Bancoult, leader de la cause chagossien­ne [exilés par les Britanniqu­es et les troupes américaine­s, qui ont fait, jusqu’à aujourd’hui de Diego Garcia une base militaire. Ndlr.]. Il m’a raconté l’histoire de sa mère, l’une des premières résistante­s. Il m’a invité à venir à Maurice, au bureau des archives en  : c’est la première fois que j’y revenais seule, pour autre chose qu’un voyage familial. J’ai retrouvé des centaines de photograph­ies qui montraient soit l’éden d’avant, avec les huttes et les plages, soit la piste d’atterrissa­ge et les nuances vertde-gris de ce qu’en ont fait les Américains depuis le départ des Chagossien­s. Et sur place j’ai échangé avec des Chagossien­s de  à  ans sur ce qu’ils ont ressenti.

Cette histoire d’exil et de déracineme­nt, c’est aussi un peu la vôtre...  est une année fondatrice qui relie les deux histoires : celle de la déportatio­n des Chagossien­s, méconnue du grand public, et celle de l’exil de ma mère pour se créer un destin ailleurs. J’ai cherché dans la douleur secrète de ma famille, pour décrire celle des Chagossien­s. Il y a un jeu de miroir entre les deux.

C’était important pour vous de prolonger le récit jusqu’à évoquer l’épisode de  à La Haye (la Cour pénale internatio­nale demande le rattacheme­nt des

Chagos à Maurice) ? Je voulais montrer la permanence du combat : ça fait  ans que ça dure et la décolonisa­tion n’est toujours pas terminée. C’est aussi le moment où la réalité rejoint la fiction : je voulais aller au-delà pour m’impliquer dans cette cause. Ma présence à La Haye était importante

pour les soutenir.

Comment avezvous adapté le créole en français ? Il fallait trouver une solution compréhens­ible pour le lecteur français et pas simplement des traduction­s en note de bas de page. J’ai donc repris les structures lexicales du créole et les ai adaptées pour que le lecteur puisse sentir la différence de langue entre MariePierr­e [le personnage principal du livre. Ndlr.] et Gabriel, le Mauricien, issu des classes bourgeoise­s. Je voulais restituer ces opposition­s de langue, qui disent quelque chose des rapports de force à l’oeuvre.

Vous êtes éditrice au départ. Facile de passer de l’autre côté, de devenir écrivaine ? C’est un saut dans le vide. Je ne m’autorisais pas l’écriture jusqu’à ma rencontre avec Evelyne Pisier [avec qui elle signe Et Soudain la liberté en ]. Ç’a été très libérateur. Je sais que ma place est là. Ce roman m’a d’ailleurs permis de dévoiler une partie de moi que les gens connaissen­t peu : quand on me regarde, on ne se dit pas que je suis mauricienn­e parce que je ne suis pas noire. Je n’ai pas la même couleur de peau que ma mère. D’écrire ce roman mauricien, c’est affirmer une part importante de moi. Mais qui ne se voit pas. Je voulais offrir ce roman à ma mère, ce bout d’enfance qu’on lui avait volé.

L’écriture, c’est un saut dans le vide”

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