Var-Matin (Grand Toulon)

J’espère sentir le moment de me retirer sur la pointe des pieds.”

- ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

Àpeine nous aperçoit-il de loin, dans son jardin, qu’il nous fait un petit signe de la main. Pour les besoins d’un bonus DVD du film Les Arnaud, il répond aux questions d’Henri-Jean Servat, face caméra. Mais cela n’empêche pas Adamo de remarquer son prochain. Il est comme ça dans la vie Salvatore, un homme de coeur. Et les cent millions de disques écoulés tout au long de ses soixante années de carrière n’y ont rien changé. On comprend alors qu’un autre tendre, Bourvil, l’ai adopté pour le grand écran. « Il avait sans doute senti, à travers mes chansons, que nous étions sur la même longueur d’onde, dans le respect et la dignité, se souvient avec émotion le chanteur qui esquissa un rôle d’acteur. Trois petits films et puis s’en va, Adamo n’a pas voulu sacrifier ses tours de chant au cinéma. Et si la compositio­n le connaît côté musique, pas question de jouer les méchants pour figurer au générique. « Je n’aurais jamais pu faire un salopard, je n’ai pas ce genre de schizophré­nie, assure ce vrai gentil. Au septième art, je peux m’identifier à des personnage­s que j’admire, mais pas à des monstres ! ». La bienveilla­nce pour évidence, et qu’importe si dans le monde des cyniques, elle lui a valu quelques moqueries et médisances. Salvatore y voit plutôt une récompense, initiée depuis l’enfance. « C’est vrai, je ne dis jamais de mal des autres, car je sais qu’on a pu en dire de moi. Et je n’ai jamais accepté d’être juré dans un concours de chant, car j’aurais trop peur de passer à côté d’un réel talent… » Lui sait de quoi il parle. Un jury de Radio Luxembourg avait jadis recalé un jeune candidat nommé Adamo lors des éliminatoi­res. Repêché par l’un des membres, « parce que quand même, ce jeunelà a quelque chose » Salvatore, 16 ans gagnera finalement le concours. Le tout début du succès !

 à  shows par an

« Je dis toujours que j’ai gagné un concours de circonstan­ces, mais j’ai beaucoup travaillé ensuite, pour être digne de cette chance ». Tombe la neige, Vous permettez Monsieur, Mes mains sur tes hanches… Autant de ritournell­es qui font tourner les belles têtes, sans jamais grossir la sienne. Et si Adamo perd son extrême timidité sur scène, il conserve à jamais une forme d’humilité. Dans le cas contraire, son père mineur « qui adorait chanter », aurait su lui rappeler les vraies valeurs. « J’ai eu la chance d’avoir mon papa encore avec moi durant mes trois premières années de succès. Et si jamais il m’avait pris l’envie de voler, il m’aurait mis la main sur l’épaule, pour me remettre tout de suite les pieds sur terre, se souvient celui qui est devenu une vedette internatio­nale, sans se prendre pour le centre du monde. Aujourd’hui, il y a un mot à la mode pour les artistes, c’est l’attitude. Mais moi, au risque de paraître prétentieu­x, je n’ai jamais adopté d’attitude, sourit-il. En concert, je reste le même qu’en dehors. Un jour, un metteur en scène voulait que je débute dos au public, mais je lui ai dit, désolé, ça, je ne peux pas… » Bien sûr, ses sommets ont aussi connu des bas. Mais en vingt-cinq albums, Adamo est toujours là, à assurer quarante à cinquante shows par an. Même le Covid-19 ne l’a pas complèteme­nt empêché. « J’ai réalisé une nouvelle version de ma chanson : non, ne mets pas tes mains sur mes hanches, ne me pousse pas à l’infraction, tu l’auras ta revanche, quand nous nous déconfiner­ons », rigole l’espiègle. Poète intemporel, Salvatore s’est joué des modes, a usé du pouvoir des mots. Pour s’affranchir du temps, il continue chaque jour de s’exercer au piano. Ancien yéyé au blouson de rockeur, il aurait pu être rappeur : « Pourquoi pas ? MC Solaar ou Oxmo Puccino ont écrit des textes magnifique­s, et j’ai toujours essayé d’être dans l’air du temps. J’écoute toujours beaucoup de musique, car je ne veux pas que la mienne soit poussiéreu­se ». Ce tendre jardinier de l’amour, selon Brassens, a su aussi montrer qu’il n’était pas béat. Involontai­rement, il a même fait débat avec Inch Allah. Mal compris, il a dû en réécrire le texte en partie, et le Liban l’a jadis désigné persona non grata. « Il n’y avait aucun parti pris communauta­ire chez moi, j’avais juste décrit une émotion, mais j’aurais dû être plus sensible à la souffrance côté Palestine. Mais depuis, je l’ai chantée avec un musulman », souligne cet apôtre de la paix. Son prochain album, qu’il commence à imaginer dans sa demeure familiale des environs de Cannes, « chargée de souvenirs et pleine de retrouvail­les », puisera dans ses racines sicilienne­s, même s’il se sent aussi franco-belge. « Pendant le confinemen­t, j’ai soudain eu envie de chanter une vieille chanson de Naples, Anima e cuore, et j’ai senti que toute ma sensibilit­é venait de là, alors je vais en reprendre d’autres comme ça… » Passionné d’astronomie, cet ancien élève d’une école catholique a su croire en sa bonne étoile, même s’il est moins certain de sa foi. «Ma mère me racontait que lorsque j’étais bébé en Sicile, un vieux Diogène barbu m’avait prédit un bel avenir. La vie m’a effectivem­ent privilégié, et à 76 ans, j’espère juste sentir le moment de me retirer sur la pointe des pieds, sans être trop pénible pour le public. » Quoi qu’il arrive désormais, ce bon Sicilien se sera forgé un destin hors du commun.

Je ne dis jamais de mal, car je sais qu’on en a dit de moi.”

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