Var-Matin (Grand Toulon)

Le fort de Brégançon, capitale des vacances présidenti­elles

Synonyme de détente estivale depuis qu’il a été décrété résidence officielle de la présidence de la République en 1968, il est aussi peu à peu devenu un outil au service de la diplomatie élyséenne

- V. G.

Tous les présidents de la République n’ont pas investi le fort de Brégançon, niché sur un piton rocheux de 35 mètres d’altitude et à quelques mètres du cap Bénat sur la commune de Bormes-les-Mimosas, de la même façon. Le 25 août 1964, Charles de Gaulle arrive à Toulon pour célébrer le 20e anniversai­re du Débarqueme­nt de Provence. Les hôtels du secteur affichant complet, il passera, selon son expression «une nuit cauchemard­esque » à Brégançon en raison de la trop petite taille du lit et d’une nuée de moustiques. Et tout en saluant l’histoire de ce site militaire, n’y retournera jamais. Un décret du 5 janvier 1968 en fait pourtant la résidence estivale officielle de la présidence de la République.

Sous Pompidou la modernisat­ion

En août 1969, le couple Pompidou s’y installe avec un plaisir non dissimulé. Ils y passeront des jours heureux, été comme hiver. Claude apporte un début de confort sur place et décore les lieux, débarquant les malles chargées d’oeuvres contempora­ines, de fauteuils de cuir blanc, de statues africaines, de tables en plastique transparen­t et autres sculptures abstraites. Sous Valéry Giscard d’Estaing, ce sera une vraie résidence de vacances, avec bains de mer en famille et déjeuners entre amis. Il en fera également un lieu de travail, et le cadre de rencontres privilégié­es avec des personnali­tés politiques de l’époque. Il y a même accordé une interview dans le cadre de la campagne pour les législativ­es. Les présidents se suivent mais ne se ressemblen­t pas. Le fort n’a pas su séduire François Mitterrand. Le premier président socialiste de la Ve République préférera Latche ou Gordes, où il pouvait se consacrer à certaines de ses passions, la marche et la lecture au calme, loin de la foule et des plages. Mais il s’en sert pour recevoir des hôtes internatio­naux : le chancelier de l’Allemagne de l’Ouest, Helmut Kohl, le 24 août 1985 – une rencontre qui aboutira notamment à la mise en place d’un « téléphone rouge » entre Paris et Berlin ; mais aussi, l’année précédente, le Premier ministre irlandais Garret FitzGerald et sa famille, sur fond de bras de fer agricole avec l’Angleterre sur les quotas de production laitière. Et il y tiendra sa dernière conférence de presse en tant que président de la République, en avril 1995, notamment pour évoquer les rumeurs sur la maladie qui allait l’emporter.

Hollande : une fois mais pas deux

Jacques Chirac perpétuera ce rôle diplomatiq­ue, en y conviant le président algérien Abdelaziz Bouteflika le 16 août 2004. Mais sa relation avec Brégançon va bien au-delà. Sous ses deux mandats, le fort devient un rendez-vous estival incontourn­able. Il faut dire que Jacques Chirac était un fidèle du Var, où il avait passé, enfant, quelques années au Rayol-Canadel pendant la Seconde Guerre mondiale. On a donc vu à Brégançon le Président prendre le soleil, recevoir ses amis politiques, se baigner et se promener avec son petit-fils Martin, poussant lui-même le landau. D’ailleurs, les Chirac n’ont jamais manqué une messe dans l’église Saint-Trophyme de Bormes, ni un « Bonjour » à travers la vitre de leur berline aux curieux agglutinés devant la grille à chacun de leurs passages. Ne boudant pas son plaisir, l’amateur de tête de veau et de Corona est même venu au fort en plein hiver, en décembre 1998, avec Alain Juppé. Nicolas Sarkozy a, lui, séjourné à quatre reprises à Brégançon avec sa première épouse, Cécilia, et leurs enfants. Il a continué à s’y rendre avec l’actuelle, Carla, qui dispose d’une maison de famille non loin, au cap Nègre. Mais cela ne l’a pas empêché d’y travailler (et même d’y signer certains textes officiels) et de recevoir à l’été 2010 ses ministres ou, en 2008, la responsabl­e de la diplomatie américaine Condoleezz­a Rice pour établir un plan de paix dans la crise entre la Russie et la Géorgie. Presque chaque été de son quinquenna­t (2007, 2008, 2010 et 2011), ses passages à Brégançon ont été l’occasion de bains de foule et de sorties sportives – jogging, vélo – immortalis­és par photograph­es et badauds. En revanche, François Hollande ne gardera pas un bon souvenir de son premier passage dans la résidence présidenti­elle, à l’été 2012. Trois mois après son élection, le long séjour du « président normal » avec Valérie Trierweile­r lui a été beaucoup reproché. Il ne remettra plus les pieds sur place. Comme Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron semble se plaire entre les murs du vieux fort. Et a décidé d’en faire un outil à part entière de sa politique internatio­nale : il y a convié la Première ministre britanniqu­e Theresa May en 2018 à propos du Brexit, puis le président russe Vladimir Poutine en 2019 au sujet de la Syrie et de la crise ukrainienn­e – un sommet qui avait vu un déploiemen­t impression­nant, avec hélicoptèr­es Mig et frégate française en patrouille au large. Cet été encore, le Président français a posé ses valises au fort avec son épouse Brigitte, et y recevra Angela Merkel jeudi. D’ici là, il est attendu aujourd’hui à Bormes pour la traditionn­elle cérémonie commémoran­t la Libération. A-t-il pu profiter pour autant de la piscine hors-sol, qui avait créé une belle polémique lors de sa constructi­on ? Mystère…

 ?? (Photo d’archives Dominique Leriche) ?? Situé sur un piton rocheux, le fort domine la Méditerran­ée.
(Photo d’archives Dominique Leriche) Situé sur un piton rocheux, le fort domine la Méditerran­ée.
 ?? (Photo d’archives François Baille) ?? Jacques Chirac est même venu à Brégançon l’hiver. Ici en décembre , avec Alain Juppé.
(Photo d’archives François Baille) Jacques Chirac est même venu à Brégançon l’hiver. Ici en décembre , avec Alain Juppé.
 ?? (Photo d’archives Frank Fernandes) ?? Nicolas Sarkozy y a organisé des réunions de travail, comme ici avec ses ministres à l’été .
(Photo d’archives Frank Fernandes) Nicolas Sarkozy y a organisé des réunions de travail, comme ici avec ses ministres à l’été .
 ?? (Photo d’archives François Baille) ?? En août , François Hollande et Valérie Trierweile­r passent deux semaines à Brégançon.
(Photo d’archives François Baille) En août , François Hollande et Valérie Trierweile­r passent deux semaines à Brégançon.
 ?? (Photo d’archives Luc Boutria) ?? Badauds et paparazzis sont là chaque été pour immortalis­er les séjours présidenti­els.
(Photo d’archives Luc Boutria) Badauds et paparazzis sont là chaque été pour immortalis­er les séjours présidenti­els.

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