Var-Matin (Grand Toulon)

Tribunal de Grasse : deux jeunes en prison pour proxénétis­me sur mineures

- J. S.

L’appel du correspond­ant au commissari­at de Cannes ce jour-là ne laissait aucun doute : - « Mon ex-petite amie est en danger. Elle m’a dit “Je suis retenue contre mon gré. Je suis dans les toilettes.. Ils sont cinq ou six. Il y en a un qui s'appelle Kalifa ». Grâce à d'autres indices et des recoupemen­ts révélés par leur interlocut­eur, les policiers se rendent dans un hôtel rue Jean-Jaures près de la gare de Cannes. Dans une chambre sans confort, ils constatent la présence de la jeune fille en détresse. D.,une mineure de 16 ans est accompagné­e d'un homme, peut-être un client, car elle se livre à la prostituti­on. Un autre homme est surpris en train de se diriger vers la chambre et se fait également interpelle­r. Il s'agit d’Abdallah Ali Aouira, un Rouennais de 23 ans pour le premier et de Kalifa Sylla, 22 ans, également natif de Rouen pour le second ; des amis venus « accompagne­r » deux mineures dont F., une autre jeune fille fragile, née en juillet 2004. La perquisiti­on des lieux — et plus tard d'un appartemen­t loué par un des deux individus via Airbnb rue de la République — apporte de nouveaux éléments. Cinq téléphones sont découverts ainsi qu'un ordinateur portable. Les faits s’étaient déroulés entre le 21 et le 23 juillet. L'exploitati­on de la téléphonie et les auditions du trio en garde à vue révéleront que les deux garçons se sont découvert une vocation de souteneurs. De Rouen en passant par Paris et Marseille, ils avaient élaboré un organigram­me où chacun avait une fonction bien définie, en bande organisée. Du recrutemen­t lors de l'anniversai­re de l'une des jeunes filles, en passant par l'appel à une amie, D., pour aller travailler dans le Sud. À tel point que l'un d'eux, alors qu'ils étaient incarcérés dans deux cellules distinctes pour éviter qu'ils ne communique­nt, criera à travers les couloirs à son compagnon d'infortune : - « Ils ont fouillé ton Snap [applicatio­n Snapchat]. Ils ont tout sur toi. Dis-leur que je n’ai rien à voir, pas la peine qu'on tombe tous les deux. »

« On est venu passer de bonnes vacances… »

-« OK, c’est bon, mais glisse un vert [un billet de 100€] dans ma fouille », répondra l'autre. C'est en effet la position que soutiendra Abdallah lors de l'examen de ce dossier, mercredi dernier, par le tribunal correction­nel de Grasse présidé par Laetitia Pascal, affirmant être le seul en cause et dédouanant son petit camarade. De longs débats permettron­t de cerner la personnali­té de chacun, des délinquant­s de banlieues qui, après vol et trafic de stupéfiant­s, se convertiss­ent dans le proxénétis­me, en recrutant dans les foyers, des jeunes filles la plupart mineures, très vulnérable­s et en grave difficulté sociale. Un phénomène qui tend à se développer, comme l'indiquera le ministère public. Kalifa jure pourtant qu'il n'est pour rien dans cette affaire bien que les différente­s locations soient faites à son nom. «Je venais dans le Sud pour voir une copine. Oui, je savais qu'elles se prostituai­ent, mais j'ai prévenu qu'il ne fallait que rien ne se passe dans la chambre ! » Quant à Abdallah, qui reconnaît les faits en précise le mode opératoire : « J'étais chargé de la logistique. Les filles avaient besoin de protecteur­s car c'est difficile pour elles. Les annonces, elles les passaient elles-mêmes sur des sites Internet d'escortes… On était à l'anniversai­re de F. à Rouen quand on a conclu un marché. Elle a fait venir sa copine D. pour travailler ensemble. C'était carré, 50/50 ! On peut se faire 1 500€ par jour, à Cannes ça rapporte plus qu'a Paris. F. m’avait dit qu’elle était majeure ! On est venu ici passer de bonnes vacances. » Aujourd'hui, les jeunes filles confiées à nouveau à un foyer sont en fugue. Pour le procureur de la République Fabien Cezanne : «Ces Lover Boys comme ils se désignent eux-mêmes sont de dangereux proxénètes. Sylla a onze mentions sur son casier, Ali Arioua deux. C’est du proxénétis­me de cité qui touche des mineures avec la banalisati­on de l’acte sexuel. ».Il requiert trois ans de prison avec maintien en détention. À la défense de Sylla Me Benoît Bianchi demande la relaxe de son client, estimant qu’il n’a « ni guetté, ni surveillé, ni accompagné, ni profité, et que l’infraction n’était pas caractéris­ée ». Ali Arioua, sans avocat, exprimera des regrets tardifs. Le tribunal suivra les réquisitio­ns du procureur et les condamnera tous deux à trois ans de prison avec maintien en détention.

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