Var-Matin (Grand Toulon)

« J’avais à coeur de bien faire »

Attendu par tout le monde, Julian Alaphilipp­e a fait coup double hier : l’étape et le maillot jaune. Le Français a assumé son statut avec brio

- MATHIEU FAURE

Une anomalie enfin réparée. En l’emportant logiquemen­t à Nice, hier, Julian Alaphilipp­e a mis fin à une longue disette. C’est simple, le nouveau maillot jaune du Tour remporte son premier succès de 2020. « C’est la première fois qu’il arrive sur le Tour sans aucune victoire en poche », souffle Guillaume Di Grazia, journalist­e d’Eurosport et auteur d’un livre sur le Tour 2019 du natif du Cher. Depuis le déconfinem­ent, le coureur de Deceuninck­Quick-Step n’était pourtant pas si loin de l’emporter. Le 8 août, il se fait souffler la victoire dans Milan-San Remo par Wout Van Aert. Aux championna­ts de France, il échoue à la troisième place, derrière Arnaud Démare et Bryan Coquard. Placé mais jamais gagnant. Alors il restait ce Tour de France dont le tracé de cette deuxième étape semblait fait pour lui. Le coureur se savait attendu après une année 2019 dorée : 5e du Tour, dont deux victoires d’étapes, quatorze jours en jaune, Milan-San Remo, Strade Bianche et la Flèche wallonne. « J’avais à coeur de bien faire, détaille Alaphilipp­e après sa victoire sur la Promenade des Anglais. J’avais surtout envie de faire quelque chose, je n’avais rien à perdre. J’ai couru comme si c’était une classique, en prenant mes responsabi­lités. C’est un final qui me convenait bien et je me suis vraiment fait mal sur la fin. »

« Dédier cette victoire à mon papa »

Une délivrance mais surtout la première victoire depuis la disparitio­n de son père Jacques, dit ‘‘Jo’’, fin juin. Hier, il a fini en larmes. « Je voulais juste dédier cette victoire à mon papa, ça me tenait à coeur et je suis heureux d’y être arrivé. » On imagine le coureur repenser à ses nombreuses fêtes de village du Berry dans lesquelles il accompagna­it son père à la batterie. Son père aurait aimé que son fils lui succède dans le monde la musette. Julian va finalement briller sur les routes avec un credo qui n’a jamais bougé depuis son arrivée dans le peloton. « Je veux donner du bonheur aux gens », disait-il, déjà, en 2016 dans les colonnes de Libération. 2016, c’est d’ailleurs l’année où le monde du vélo découvre ce jeune prodige, notamment dans les classiques (2e de la Flèche wallonne). Avec son cousin et entraîneur Franck, ils tentent de développer les qualités de grimpeur de ce diamant brut, pour en faire un potentiel vainqueur de courses à étapes. En 2017, son échec dans le Paris-Nice douche ses ambitions. Alors qu’il est leader au général, il explose dans la montée de la Couillole, non loin de Nice, et termine la course à la cinquième place au général. Il change de braquet et devient le meilleur coureur du monde quand il faut régler ses concurrent­s sur des efforts de moins de deux minutes. Le puncheur ultime en quelque sorte. Mais pour franchir un cap, il bosse sa capacité à passer les grands cols. Notamment sur la durée. Au menu, stage en altitude et reconnaiss­ances d’étapes : le voilà capable, depuis peu, de suivre les cadors sur des courses de trois semaines. À l’instar d’un Richard Virenque, Alaphilipp­e marche aussi à l’amour. Du public notamment. « Il a ce supplément d’âme », détaille Di Grazia. « Je me reconnais en lui », poursuit Richard Virenque. Comme Virenque, Alaphillip­e a ce rapport à la scène très particulie­r, il brille quand ça vibre.

« Le maillot jaune, ça se défend, ça se respecte »

Hier, tout le monde l’attendait, il a pourtant assumé son statut. L’étape et le jaune en guise de bonus. « L’optique est de prendre la course au jour le jour, poursuit-il. Le jaune, c’est une énorme fierté, ça se défend, ça se respecte. On va le défendre avec honneur, tout en restant lucide. On ne visait pas le général en venant ici, ça ne va pas changer mais on ne veut pas le rendre demain (lire aujourd’hui). » Après la découverte de la vie de leader du Tour l’an dernier, le garçon a sans doute appris à mieux gérer cette tunique si particuliè­re. « C’est quelqu’un de très humain, de très proche des gens. Il appelle tout le monde ‘‘mon loup’’, c’est son truc mais l’an dernier, il a perdu beaucoup d’énergie au quotidien : du podium protocolai­re au bus, du bus à l’hôtel, de l’hôtel au massage », poursuit Di Grazia.

Sur certaines étapes, entre les sollicitat­ions médiatique­s et populaires, il lui arrivait de manger à 22 h. Incompatib­le avec la vie d’un leader qui doit mettre le Tour dans la poche alors que cette tunique dorée lui va à ravir. De là à en faire un vainqueur potentiel ? Difficile. Sur le papier, il n’a ni l’équipe pour l’emporter, ni la capacité à gérer une course de trois semaines. Mais ce Tour, si différent des autres, est tellement particulie­r que tout est possible. Et la pression semble glisser sur lui : « J’avais la pancarte (de favori) mais j’ai l’habitude. Concrétise­r, ça me fait du bien, la victoire me manquait ».

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(Photos : Sébastien BOTELLA et Jean-François OTTONELLO)
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