Muriel Dotta : « C’est le combat de ma vie »
Foyers d’accueil, bracelets d’alerte, formation. Selon la mère de Salomé, victime d’un féminicide le 31 août 2019 à Cagnes-sur-Mer (), tout est encore à faire pour lutter efficacement contre la barbarie
Elle a les traits tirés, les yeux tristes mais une détermination intacte. Pour Muriel Dotta, sculptrice grassoise, mère de trois enfants, féministe devenue militante, cet été se résume à deux dates à quelques semaines d’intervalle : l’anniversaire de la naissance de sa fille, Salomé, le juillet . Celui de son meurtre, à l’âge de ans, le août . « J’ai mis neuf mois à la faire naître. Il a mis neuf mois pour la détruire. A coups de violence psychologique, puis en la battant à mort ce jour-là à Cagnes-sur-Mer. Et non content de cette barbarie, il a dissimulé son corps sous un tas de détritus. » Pour Salomé – féminicide de France en « cette année atroce où il y en a eu » –, c’est trop tard. Mais pas pour toutes les autres. Celles qui sont encore vivantes. Et qu’il est urgent d’aider. « Dénoncer, informer, faire bouger les choses, c’est devenu le combat de ma vie maintenant » , déclare cette mère courage qui ne préfère pas penser au procès et à la condamnation du bourreau de sa fille : « Le gouvernement et la justice sont hypocrites. Il sera peutêtre condamné à la perpétuité. Mais la perpétuité, c’est quoi en vérité ? ans, ans. Ma fille, elle, ne reviendra pas. Lui pourra sortir et refaire sa vie. »
Qu’entendez-vous par le combat d’une vie ? On ne peut pas rester sans rien faire face à toutes ces morts atroces. Il faut dénoncer ce qui ne va pas. Il faut informer pour que les choses changent. C’est devenu absolument ma responsabilité. Je ne peux pas rester sans rien faire, ce n’est plus possible. Je ne veux pas que la mort de Salomé reste un fait divers. C’est un acte de barbarie. Il faut comprendre que naître femme peut être dangereux aujourd’hui, tu te rends compte ?
On évoque l’année mais regardons … Le compteur ne s’est pas arrêté. On est déjà à féminicides depuis janvier. , oui !
Cette interview est rude. Elle est nécessaire ? Oui, ça fait partie du combat aussi. Il ne faut pas s’arrêter de dire, parce que je trouve que les choses ne bougent pas assez en dépit du Grenelle [qui a eu lieu du septembre au novembre ]. Vraiment pas assez. Il n’y a toujours pas assez de centres d’accueil pour les femmes victimes de leur conjoint, de bracelets d’alerte. Les policiers ne sont toujours pas assez formés pour accueillir les victimes. On ne prend pas assez au sérieux leurs appels téléphoniques. Les commissariats ne sont même pas équipés d’une deuxième entrée. Ces femmes traumatisées, qui doivent parler de leur drame intime, se retrouvent avec tout le monde. Mais comment raconter de telles horreurs, un viol, des coups, à côté de personnes qui viennent déclarer un sac volé ?
Vous avez rallié des gens autour de votre combat. Il y a eu plusieurs centaines de participants à votre manifestation en mars. Comment l’expliquez-vous ? Ce combat est important. Ces personnes qui se joignent à moi sont des mamans, des papas aussi. Des jeunes également, notamment le mars quand on a organisé cette marche silencieuse entre mon atelier de la rue Marcel-Journet jusque devant la sous-préfecture en brandissant les noms des femmes décédées sous les coups. Le silence, parce que je ne voulais pas qu’on nous prenne pour des hystériques.
C’était votre première action ? Nous avons adhéré à un phénomène national qui s’est mis en place en à Paris : le collage sur les murs des villes de phrases chocs dans des lieux qui se voient et pas sur les panneaux d’affichage légaux. Ça a un véritable impact. La personne qui va se promener, qui part à son travail, se prend ces phrases de dénonciation de l’horreur en pleine face. C’est illégal, bien sûr. On l’a fait pendant quelque temps. On a arrêté avec le confinement. Des affiches sont apparues un peu partout dans Grasse, comme avenue SainteLorette, pour l’anniversaire de Salomé, mais là, ce n’est pas nous.
Quelle a été votre réaction ? J’ai été agréablement surprise. Il y avait des phrases comme « Salomé ton nom sur des murs pour ne pas oublier ». C’est dommage, les collages, comme « Plus écoutées mortes que vivantes », « La peur doit changer de camps » ou « Stop féminicides » sont souvent arrachés trop vite. Pourtant, ce n’est pas de l’incivisme, c’est de l’information. On n’écrit pas sur les murs, on colle des papiers. C’est éphémère et presque artistique. Le groupe de Paris a fait un collage magnifique pour Salomé. J’en ai pleuré quand j’ai vu la photo sur les réseaux sociaux (collagesféminicides). Ces collages, pour moi, sont plus que nécessaires. Il faudrait les laisser un peu. C’est de la prévention, comme celui-ci : « Protégeons les filles », ce début de phrase est barré et suivi de : « Éduquer les fils. »
Que dit ce collage parisien ? « Salomé nous écrivons ton nom pour ne pas oublier. Aujourd’hui tu aurais fêté tes ans. Le /, Salomé a été assassinée par son conjoint qu’elle voulait quitter. Il a laissé son corps sous un tas d’ordures. Quatre plaintes avaient été déposées contre lui. Nous ne pardonnons pas. Nous n’oublierons jamais. Shalom, on t’aime. » Shalom, c’était le surnom de Salomé.
Une autre action est prévue ? On a proposé à la mairie de Grasse de disposer des silhouettes noires sur la voie publique. Le confinement est passé par là mais on a été bien accueillies. On va relancer tout ça. Nous allons aussi travailler avec cette belle association, Une
voix pour elle de Peymeinade. Et puis il va falloir éduquer filles et garçons. Changer le regard des hommes sur les femmes. Je suis pour l’équilibre, l’égalité des hommes et des femmes.
Quelles avancées dans l’enquête ?
Je ne peux absolument pas parler de ça. Je suis tenue de me taire. Aujourd’hui, l’enquête criminelle est toujours en cours. Je ne peux pas tout dire. Je suis enfermée dans ce procès qui n’a pas encore lieu. Quand le procès sera terminé, je pourrai mener mon combat de manière plus poussée. Témoigner de l’histoire de Salomé de A à Z. Mon idée est même d’aller dans les établissements scolaires et parler de ce qui est arrivé à ma fille et à plein d’autres femmes. Il faut partir de la base, éduquer la jeunesse. L’informer. C’est la présidente du collectif Nous toutes, Caroline de Haas, qui défend l’idée de faire des campagnes de sensibilisation sur les violences conjugales, sexuelles et sexistes aussi chocs que celles réalisées en leur temps sur la sécurité routière ou le cancer. Et je suis d’accord avec elle.
Le procès, vous en attendez quoi ? Je suis profondément écoeurée par le monde. On est dans une société hypocrite. La perpétuité n’existe pas même si on nous dit le contraire. Il ne faut plus utiliser ce mot qui ne veut rien dire. J’attends qu’il soit jugé. Qu’on lui ôte sa vie sociale, comme il a enlevé la vie de Salomé. Je reste contre la peine de mort, parce que je ne veux pas devenir le monstre qu’il est. Et puis c’est trop facile. Mais je veux que sa vie devienne un aller-retour entre sa cellule et la cour de promenade jusqu’à son dernier souffle. À chaque heure, chaque jour. Jusqu’à sa mort. Moi, je ne la verrai plus Salomé, alors lui, il ne sort plus.
Prendre au sérieux les appels téléphoniques”
Je ne veux pas devenir un monstre”