Var-Matin (Grand Toulon)

Zarie Sibony, rescapée de l’Hyper Cacher : « Pour moi, ce n’est pas juste un procès. C’est ma vie »

- PROPOS RECUEILLIS PAR EDITH BOUVIER / ALP

L’après-midi du 9 janvier 2015, Zarie Sibony était encore caissière à l’Hyper Cacher. Elle est restée plus de quatre heures avec Amedy Coulibaly qui a abattu froidement, devant elle, trois clients et un employé du magasin. Rescapée, la jeune femme de 28 ans a choisi de partir vivre en Israël. Elle sera à Paris pour venir témoigner.

Comment allez-vous, plus de cinq après l’attentat ? Aujourd’hui, je vais mieux. Mais ça été très difficile. J’ai eu besoin de voir des psychologu­es, des psychiatre­s pour arriver à surmonter tout ça. Je sais qu’après avoir été le témoin de tant de violence je ne pourrai jamais redevenir la personne que j’étais, même si aujourd’hui j’arrive à vivre avec. C’est un très long chemin, qui n’est pas terminé. Au quotidien par exemple, quand je rentre dans un endroit fermé, j’ai peur. Je vérifie toujours où se trouve la sortie la plus proche au cas où il se passe quelque chose. Après l’attentat, j’avais même peur de sortir dans la rue. J’étais persuadée qu’on allait venir me tuer. Même pour acheter du pain, c’était compliqué.

Vous êtes restée plus de quatre heures face à Amedy Coulibaly, avant qu’il soit tué lors de l’assaut des forces de l’ordre. Vous êtes les seules, avec Andréa, votre amie caissière, à être restée aussi longtemps avec lui…

Je ne pourrai jamais oublier le visage de ce terroriste. Quand je l’ai vu face à moi, au début de la prise d’otage, j’ai eu l’impression d’être dans un film. Il était très musclé, habillé de façon militaire, une kalachniko­v dans chaque main, il avait un sac avec des grenades, des couteaux… Comme s’il voulait faire sauter tout l’immeuble ! Puis je l’ai vu tuer quatre personnes, sans une seconde d’hésitation. Ensuite, il est redevenu presque normal ! Il faisait même des blagues. Il nous adit: « Allez vous chercher à manger, aujourd’hui c’est gratuit ! » Moi, je n’arrive pas à comprendre comment un être humain peut tuer des gens avec autant de détachemen­t.

Cette normalité vous a terrifiée… En arrivant dans le magasin, il a gravement blessé un employé. On l’entendait souffrir, le terroriste s’est dirigé vers lui et nous a dit « Ces bruits me dérangent, vous voulez que je l’achève ? » Comment peut-on être si monstrueux ? Qu’est-ce qu’on leur met dans la tête ? Qu’est-ce qui arrive dans une vie pour qu’on devienne comme ça ? Il a aussi dit quelque chose qui m’a marquée : « Vous, les juifs vous pensez que la vie est sacrée. Vous avez tort. Pour nous, ce qui arrive après la mort est plus important. » C’est cette phrase qui m’a donné la force de ne pas craquer pendant cette prise d’otage. Je voulais lui montrer qu’il avait tort et que je ferai tout pour vivre.

Vous serez de retour à Paris pour venir témoigner devant la cour d’assises spécialeme­nt composée. C’est important de faire entendre votre voix ? Pour moi, ce n’est pas juste un procès. C’est ma vie, mon histoire. Je veux savoir pourquoi cela est arrivé, comment cela a été possible. S’il y a des complices, peu importe qu’ils aient été là ou pas au moment de l’attaque, je veux qu’ils répondent de leurs actes. Si les  accusés ont fait quelque chose pour aider à la réalisatio­n de cet attentat, ils doivent être condamnés pour avoir fait de ce  janvier le pire jour de ma vie. Je sais que face à eux je vais avoir peur. Je vais être en colère aussi. Ce moment va être très difficile mais je n’ai pas le choix. Je veux être là aussi pour les victimes, tous ceux qui ont été tués. Et je dois faire passer un message à la cour d’assises : il ne faut plus que cela se reproduire. Plus jamais !

Vous avez quitté la France pour vivre en Israël. Avez-vous peur de revenir à Paris ? Je n’aime plus être à Paris. Je me sens plus en sécurité en Israël, même si c’est un pays sous tension. Pendant  h , j’ai fait face à un homme qui était prêt à me tuer parce que je suis juive et française. Et ça, je n’arrive toujours pas à le comprendre. En France, on pense être en sécurité. Et puis tout à coup, un homme débarque, vous raconte qu’il a acheté des armes, qu’il a reçu des ordres de Syrie, qu’il a fait des crédits pour organiser cet attentat... Comment cela a pu arriver en France ? Comment se fait-il que personne ne se soit rendu compte de rien ?

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(DR) Zarie Sibony, vit désormais en Israël.

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