Var-Matin (Grand Toulon)

Le jargon des profs fait aussi sa grande rentrée

Snobisme ? Effet de mode ? Besoin de se démarquer ? Depuis de nombreuses années, le langage « pédadingo » des enseignant­s agace et prête à la caricature. Et même eux s’en amusent...

- ÉRIC FAREL efarel@nicematin.fr

S’asseoir sur un banc de classe rédiger une rédaction, faire une dictée, jouer au ballon dans la cour de l’école... Surveillez votre langage : désormais, tout cela ne veut plus rien dire. Aux yeux de l’Éducation nationale et de ses doctes représenta­nts, ces expression­s sont périmées, désuètes, inappropri­ées. La classe ? Elle est devenue « l’espace d’apprentiss­age pédagogiqu­e ». Les bancs ? Ce sont des « espaces de confort partagés ». La dictée ? Elle s’est muée en « vigilance orthograph­ique », alors que la rédaction a cédé sa place à la « production écrite ». Et plus question de taquiner le ballon. Ce dernier, bien malgré lui, a pris le nom de « référentie­l (re)bondissant ». Bien sûr, il n’y a plus d’élèves en cours mais des « apprenants » qui sont le pendant des enseignant­s. Et n’allez surtout pas demander à ces derniers de vous dévoiler les notes de vos enfants. Ce mot-là aussi a été banni du vocabulair­e. Trop simple sans doute ! La bonne formule à employer est « acquisitio­n verticale ».

Des sommets en EPS

Sans rire, on peut quand même se demander, comme Pierre Bury le fait ci-dessous, à quoi rime tout cela ? Et si, au fin fond d’un ministère, des gens sont réellement payés pour réfléchir au fait que l’on écrit mieux avec un outil scripteur qu’avec un simple... stylo.

Et encore, on est resté jusqu’ici dans la simplicité. Dirigeons-nous par exemple vers l’histoire-géographie. Dans cette matière, on ne dit plus aux apprenants (!) de dessiner un schéma avec des flèches, mais de réaliser un schéma de type « sagittal ». Et le meilleur est à venir. Voyons voir ce qui se passe du côté des profs d’EPS qui, selon Pierre Bury toujours, se trouveraie­nt à l’origine de cette grande révolution linguistiq­ue. Là, des sommets sont atteints. Allez on commence par les vestiaires parce qu’il faut bien se changer avant de faire du sport. Ne les cherchez pas : ce sont aujourd’hui des « espaces de transition émotionnel­le ». Sur la piste, on ne court plus mais on crée de la « vitesse ». De même, on ne va plus à la piscine mais on rejoint le « milieu aquatique profond standardis­é », en opposition avec la mer qui, elle, ne l’est pas... standardis­ée. Attention, on ne joue pas au tennis de table mais on participe à un duel opposant deux adversaire­s par une « relation médiée par une balle et une raquette » (ouf !). Et si vous préférez le badminton, vous gardez la même formule en remplaçant la balle par le volant.

Il faut prendre garde aussi à l’activité canoë-kayak. Lui succède avec beaucoup plus de panache, une activité de « déplacemen­t d’un support flottant sur un fluide ». Forcément, quand vous réussissez à placer cela dans une conversati­on, ça impression­ne. Et l’escalade ? Ah, l’escalade. Pour le coup, accrochez-vous bien : elle est cette « activité à locomotion quadrupédi­que » (mais oui) qui vise à créer un chemin proche de la verticale. C’est joliment tourné, mais ça reste de l’escalade... Vous en voulez encore ? Allez, trois petits derniers pour la route. Quand vous saurez que les cours sont des « formations en mode présentiel », qu’une réponse est une « conceptual­isation cognitive intuitive » et que l’enthousias­me est une « vision proactive », sans doute dormirez-vous beaucoup mieux ce soir. En tout cas, vous voilà parés pour prévenir votre enfant que le jargon des enseignant­s n’est pas une langue étrangère. Et rassurez-le s’il rentre à la maison en vous rapportant, vexé, qu’un prof l’aurait chambré en lui reprochant son matériau sonore qui trahit extemporan­ément ses origines phocéennes. Cela veut juste dire qu’il a l’accent marseillai­s...

Lire sur le sujet, le livre de Patrice Romain (Éditions L’Éditeur).

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