Var-Matin (Grand Toulon)

L’incroyable ascension de Beka Gigashvili

À 28 ans, le pilier géorgien va disputer sa première demi-finale européenne. Pas mal pour un joueur qui a découvert le rugby il y a seulement huit ans. Retour sur un parcours atypique

- Textes : Fabrice MICHELIER fmichelier@nicematin.fr Photo : Dominique LERICHE

‘‘ J’ai envoyé des vidéos à trente agents en France”

La barbe taillée en pointe, les cheveux courts, le regard noir. Avec ses 116 kg sur la balance et son 1,76 m, Beka Gigashvili impression­ne. Sur le terrain, il suscite la crainte des adversaire­s. Mais en dehors, il suffit d’échanger deux minutes avec lui pour découvrir un garçon charmant. Étonnant. Comme son parcours. Avant de débarquer à Toulon à l’été 2019, le Géorgien de 28 ans a eu un parcours pour le moins atypique. À 15 ans, il tombe dans la marmite de la lutte. Sport roi dans son pays. Il s’épanouit, participe à des compétitio­ns, jusqu’à son départ pour l’armée, à l’âge de 18 ans. « Le service militaire est obligatoir­e en Géorgie. Il dure un an et trois mois », confie le pilier droit. À ce moment-là, il ignore tout ou presque du rugby. « À la fin de mon service, je voulais reprendre la lutte et éventuelle­ment m’engager dans l’armée. Mais je me suis fait un ami qui n’a pas arrêté de me parler de rugby », explique-t-il dans un français parfait, à peine teinté d’un accent rappelant ses origines.

Au rugby pour faire plaisir à un ami

Alors, quand il termine son engagement, « pour faire plaisir » à son ami, il le suit pour des entraîneme­nts de rugby avec le club de Bagrati. « Au début, j’étais un peu perdu, je ne connaissai­s pas les règles. L’entraîneur me disait : “tu prends le ballon et tu cours tout droit”. Et c’est tout ! » À l’époque, il évolue au poste de talonneur. Et il prend vite goût au rugby. « J’aimais trop rentrer dedans », confesse-t-il dans un sourire. Et il attire, déjà, les regards. Après six mois, le club russe du Spartak Moscou lui propose son premier contrat. Il joue un an au pays des Tsars, avant que le club ne fasse faillite. Retour en Géorgie. Beka reprend du service à Batumi. « Un coéquipier qui était passé par la France m’a demandé pourquoi je ne tentais pas ma chance moi aussi », se souvient-il. Sur les conseils de son partenaire, il se lance. « Il m’a dit de faire des vidéos et un CV. J’ai trouvé un ami pour m’aider à faire le montage et j’ai envoyé tout ça à une trentaine d’agents en France. » Cinq répondent. Un lui propose de rejoindre Chambéry en Fédérale 1. « On le fait venir sur une vidéo, envoyée par son agent », confirme Michel Ringeval, alors entraîneur de Chambéry. Il poursuit « Comme il n’a pas connu les sélections de jeunes, Beka était passé hors des radars. Sur les vidéos, on pouvait déjà voir qu’il avait des qualités exceptionn­elles, ça s’est confirmé lors des entraîneme­nts. Il a une énorme activité, il est capable d’enchaîner les tâches de façon exceptionn­elle. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a beaucoup de gaz. »

Arrivé à Chambéry sans parler ni français ni anglais

En dehors des terrains, l’arrivée en France s’avère un peu plus compliquée. « Je ne parlais ni français, ni anglais. J’étais loin de ma famille et de mes proches. Je découvrais une nouvelle culture. Ce n’était pas facile », se remémore Beka. Mais attention, le garçon n’est pas du genre à se plaindre. Ni à subir la situation. Il s’installe dans une maison en colocation avec un Sud-Africain, un Fidjien et un Samoan. « J’ai appris à parler anglais. Mais au bout de trois mois, j’ai forcé pour le français, car c’était un peu compliqué notamment pour les combinaiso­ns. » Son entraîneur de l’époque se rappelle : « Quand il arrive en France, c’est dans l’idée de réussir. Il s’en est donné les moyens, j’ai rarement vu ça. C’est un très gros travailleu­r. C’est vrai qu’au début, il ne parlait pas français, mais ça n’a pas été un souci. Le message passait. Un mois après son arrivée, il avait intégré toutes nos annonces. »

« Un homme très attachant, humble »

Les deux hommes ont gardé un profond attachemen­t. « Je dois beaucoup à Michel, c’est grâce à lui que je suis là aujourd’hui. Quand je suis arrivé en France, il faut que je dise la vérité, je ne connaissai­s pas grand-chose à la mêlée et au jeu. Il m’a tout appris », avoue Beka. Son mentor lui répond : « C’est un homme très attachant, reconnaiss­ant, humble. Le jour où il a signé à Toulon, il m’a appelé pour me remercier. Il me remercie, mais il s’est donné les moyens tout seul avec un fort investisse­ment et en étant à l’écoute des conseils. » Au bout d’un an en Fédérale 1, « Giga » survole déjà la compétitio­n. Il tape dans l’oeil de Fabrice Landreau, alors à Grenoble. Le club isérois décide de laisser le Géorgien encore une saison du côté de la Savoie afin qu’il s’aguerrisse et s’acclimate à ce nouveau pays. Après ce nouvel exercice, le pilier prend son envol pour la Pro D2 avant de goutter au Top 14 après une montée avec le FCG. Ce qui nous mène à la saison 2018-2019, au terme de laquelle il rejoint le RCT. « Je le suivais à Grenoble même s’il n’était pas toujours titulaire. Avec Laurent Emmanuelli (directeur sportif) nous avons notamment été séduits par sa capacité de déplacemen­t. C’était un joueur avec une très grande marge de progressio­n en mêlée et ailleurs. Ses qualités nous ont convaincus d’engager un projet avec lui », détaille Patrice Collazo. À Toulon, il n’a fallu que quelques matchs au Géorgien pour devenir l’un des chouchous de Mayol. Solide en mêlée, le garçon déborde d’énergie. Rien qu’un exemple : samedi, lors du quart de finale européen face aux Scarlets, il a terminé meilleur plaqueur du RCT avec dix unités à son actif, en seulement 63 minutes. « Il est très présent en défense. Ce n’est pas un gabarit très lourd pour un pilier droit, il est explosif, dynamique, ne se consomme pas trop en mêlée, il travaille bas, contrôle son adversaire. Il a aussi un centre de gravité bas qui lui permet d’être efficace au sol. Il travaille beaucoup et se donne les moyens de réussir », affirme le manager toulonnais. Dans son rôle de technicien, il place aussi des garde-fous. « Il faut qu’il reste dans le collectif, pas qu’il s’engage dans un duel avec son adversaire. On est parfois obligé de le freiner également. Il doit apprendre à se ménager. Le travail le rassure mais il doit aussi prendre conscience de ses qualités. » Le travail, toujours le travail. C’est le leitmotiv de Beka.

Famille, force et sport... “encrés” en lui

Quand on lui demande s’il a d’autres passe-temps en dehors du rugby, il évoque ses tatouages qui ornent ses mollets et ses bras. Mais il le fait avec pudeur. « J’aime bien ça. Ils représente­nt ma famille, la force, le sport. Mais après, c’est surtout parce que j’aime bien les tatouages. » À côté de cela, il apprécie aller à la plage mais surtout il explique qu’« on travaille vraiment dur, il faut se reposer pour bien s’entraîner et préparer les matchs comme il le faut ». On ne se refait pas. Cette mentalité lui a cependant permis de devenir internatio­nal en 2018. « C’était un rêve. Défendre et porter les couleurs de son pays, c’est incroyable. Ma famille est très fière », lâchet-il. Son ascension à Toulon devrait lui permettre de s’installer durablemen­t en sélection. Enfin, à 28 ans, Beka Gigashvili pense avoir trouvé une ville qui lui « plaît vraiment. J’espère rester ici plusieurs années. Il n’y a pas que le climat, le rugby, le public, c’est spécial à Toulon. C’est un bonheur d’être poussé comme ça ». Huit ans après avoir touché son premier ballon de rugby, le Géorgien semble avoir trouvé son port d’attache. Tant mieux pour le RCT.

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Les tatouages ? J’aime bien ça !”

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